Violence en RDC : enjeux géopolitiques et ingérences étrangères

Analyse des enjeux géopolitiques et des ingérences étrangères dans le conflit en RDC, notamment l'encerclement de Goma par le M23, l'exploitation des ressources naturelles et les tensions régionales.

Mar 20, 2025 - 11:11
Mar 20, 2025 - 11:33
 0  24
Violence en RDC : enjeux géopolitiques et ingérences étrangères

La République Démocratique du Congo (RDC), particulièrement sa région orientale, demeure le théâtre d’un conflit protéiforme dont l’intensité connaît, depuis fin 2024, une recrudescence alarmante. L’encerclement quasi total de Goma, capitale provinciale du Nord-Kivu, par les forces du Mouvement du 23 mars (M23) marque une escalade significative dans une crise dont les racines plongent dans un enchevêtrement complexe de facteurs géopolitiques, économiques et institutionnels. D’où la réflexion sur les enjeux multidimensionnels qui sous-tendent ce conflit persistant, en accordant une attention particulière au rôle des acteurs régionaux et internationaux, à l’exploitation des ressources naturelles et aux conséquences humanitaires dévastatrices qui en résultent.

Contexte historique et géopolitique contemporaine

L’instabilité chronique qui caractérise l’est de la RDC s’inscrit dans une trajectoire historique marquée par des ruptures géopolitiques majeures. Le génocide rwandais de 1994 constitue indéniablement un point de bascule fondamental, ayant entraîné l’afflux massif de réfugiés et d’éléments armés dans les provinces orientales congolaises (les Hutus près de 2 millions). Cette déstabilisation initiale a précipité la chute du régime Mobutu en 1997, créant un vide sécuritaire exploité par une multitude d’acteurs armés non étatiques. Cette période marque le début d’une internationalisation du conflit congolais, avec l’implication directe des pays limitrophes dans ce que G. Prunier qualifie de « Première Guerre mondiale africaine ».

Les dynamiques contemporaines du conflit se manifestent avec une intensité renouvelée depuis janvier 2025. L’offensive du M23, groupe armé dont le soutien par le Rwanda est documenté par le Groupe d’experts des Nations Unies, a conduit à l’encerclement quasi total de Goma, provoquant une réunion d’urgence du Conseil de sécurité de l’ONU. Cette escalade a entraîné une détérioration sans précédent des relations diplomatiques entre Kinshasa et Kigali, culminant avec le rappel mutuel des ambassadeurs en février 2025. Cette crise s’inscrit dans une continuité historique où, selon J Stearns, les facteurs internes congolais s’articulent avec des dynamiques régionales complexes pour perpétuer l’instabilité.

La persistance de groupes armés dans les provinces du Nord-Kivu et du Sud-Kivu résulte d’une combinaison de facteurs structurels : la faiblesse des institutions étatiques congolaises, l’instrumentalisation des clivages ethniques et l’exploitation systématique des ressources naturelles. Comme le démontrent les travaux de Vogel et Musamba, ces groupes armés ont développé des systèmes sophistiqués de gouvernance parallèle dans certains territoires, complexifiant davantage les efforts de stabilisation.

L’exploitation des ressources naturelles comme moteur du conflit

L’exploitation des ressources naturelles dans l’est de la RDC représente un facteur central dans la perpétuation du conflit. Le sous-sol congolais, d’une richesse exceptionnelle, abrite notamment 70 % des réserves mondiales de coltan, minerai essentiel à l’industrie électronique moderne, ainsi que d’importants gisements d’or, de cassitérite et de wolframite. Selon la Banque mondiale, l’exploitation minière artisanale constitue le moyen de subsistance de près de 10 millions de Congolais, soulignant l’importance socio-économique considérable de ce secteur.

Toutefois, cette richesse naturelle s’est transformée en « malédiction des ressources », concept théorisé par Sachs et Warner et appliqué au contexte congolais par P. Le Billon. Le Groupe d’experts des Nations Unies sur la RDC estime que 98 % de l’or produit artisanalement en RDC n’est pas déclaré et quitte clandestinement le territoire national, représentant une perte annuelle de revenus fiscaux évaluée à 1,9 milliard de dollars. Cette économie parallèle alimente directement les réseaux de financement des groupes armés et perpétue les cycles de violence.

Les chaînes d’approvisionnement en minerais impliquent une constellation d’acteurs régionaux et internationaux. Le Rwanda est fréquemment cité pour son rôle présumé dans l’exportation de minerais congolais, en 2023, il s’est imposé comme un acteur clé du commerce du coltan, exportant 2 070 tonnes, un volume supérieur à celui de la République démocratique du Congo. Les recettes mensuelles issues de cette exploitation ont varié, atteignant jusqu’à 6,9 millions de dollars en octobre et 6,6 millions de dollars en décembre. Ce dynamisme renforce sa place dans l’économie minière mondiale, faisant du coltan un levier stratégique pour ses revenus nationaux et son influence sur les chaînes d’approvisionnement technologiques. En outre le Rwanda avec l’aide de l’américain Hilly Metals Company, ont mis la place l’une des plus importantes raffineries d’or en 2019 et pourtant le trésor américain avance que plus de 90 % de l’or congolais est envoyé clandestinement au Rwanda. L’écosystème du commerce illicite s’étend bien au-delà. Des sociétés minières internationales, des négociants basés à Dubaï et des entreprises technologiques mondiales constituent les maillons d’une chaîne complexe où la traçabilité demeure problématique malgré les initiatives comme le processus de Kimberley ou la législation Dodd-Frank sur les « minerais de conflit ».

La militarisation de l’extraction minière s’observe particulièrement dans les territoires de Walikale, Masisi et Lubero, où groupes armés et éléments des Forces armées de la République Démocratique du Congo (FARDC) imposent des systèmes de taxation parallèles aux exploitants artisanaux. Selon l’International Peace Information Service, plus de 1 200 sites miniers dans l’Est congolais subissent une forme d’interférence armée, illustrant l’imbrication profonde entre exploitation des ressources et dynamiques conflictuelles.

Image source:resource governance

Les acteurs régionaux et internationaux : jeux d’influence et intérêts divergents

L’analyse du conflit dans l’est de la RDC nécessite une compréhension approfondie des interactions entre acteurs régionaux et internationaux dont les intérêts s’entrecroisent dans cette zone géostratégique. Le Rwanda, acteur central dans cette configuration, maintient une présence indirecte à travers son soutien documenté au M23. Le rapport du Groupe d’experts des Nations Unies établit formellement l’appui logistique, financier et militaire fourni par Kigali à ce groupe rebelle, soulignant la fourniture d’armements sophistiqués et la présence d’officiers rwandais dans les chaînes de commandement du M23.

Les motivations de l’engagement rwandais s’articulent autour de trois axes principaux : sécuritaire, avec la neutralisation des Forces Démocratiques de Libération du Rwanda (FDLR - principalement des Hutus) ; économique, avec l’accès aux ressources minérales ; et géopolitique, avec la projection d’influence régionale. L’Ouganda poursuit également des objectifs similaires, bien que son implication militaire directe se soit récemment formalisée à travers l’opération Shujaa, menée conjointement avec les FARDC contre les Forces Démocratiques Alliées (ADF) dans la province de l’Ituri.

Les puissances occidentales entretiennent des relations nuancées avec les protagonistes régionaux. L’ambivalence de leur positionnement se manifeste dans le soutien financier et militaire accordé au Rwanda, conjugué à des déclarations de principe condamnant les violations des droits humains. Les États-Unis, qui ont fourni 147 millions de dollars d’assistance étrangère au Rwanda entre 2018 et 2023, ont néanmoins exprimé, par la voix de leur Secrétaire d’État en janvier 2025, « une profonde préoccupation quant au soutien rwandais au M23 ». Cette dissonance entre rhétorique et pratique reflète les dilemmes stratégiques des puissances occidentales dans une région où s’entrecroisent enjeux sécuritaires et économiques. Ce même dilemme se pose pour les Européens. En novembre 2024, l’UE a accordé 20 millions d’euros à l’armée rwandaise pour lutter contre le djihadisme au Mozambique, des fonds qui pourraient être détournés vers le conflit en RDC. Bien qu’une résolution adoptée en février 2025 semblant pousser certains députés à vouloir suspendre toute dotation européenne au Rwanda tant que le conflit persiste. Un accord a quand même été conclu entre l’UE et Kigali pour développer des chaînes de valeur durables et résilientes pour les matières premières critiques. Signé par Jutta Urpilainen, commissaire européenne aux partenariats internationaux, et Vincent Biruta, ministre rwandais des Affaires étrangères…

La Chine a considérablement renforcé sa présence économique en RDC, particulièrement dans le secteur minier, avec des investissements estimés à 10 milliards de dollars sur la dernière décennie selon l’Agence Ecofin. Cette implantation économique s’accompagne d’une influence politique croissante, manifestée notamment par la position modérée adoptée par Pékin au Conseil de sécurité concernant la mission de maintien de la paix MONUSCO. L’engagement chinois, principalement orienté vers l’accès aux ressources stratégiques comme le cobalt et le lithium, introduit une dimension supplémentaire dans l’équation géopolitique régionale.

Les initiatives de médiation régionales et leurs limites

Face à l’aggravation du conflit, diverses initiatives de médiation ont émergé au niveau régional, avec des résultats contrastés. Le processus de Luanda, initié en juillet 2022 sous l’égide du président angolais João Lourenço, visait initialement à normaliser les relations entre la RDC et le Rwanda. Ce processus a produit une feuille de route incluant un cessez-le-feu et le retrait du M23 des territoires conquis, dispositions qui sont restées largement inappliquées malgré plusieurs cycles de négociations. L’échec relatif de cette médiation s’explique par l’absence de mécanismes contraignants et la réticence des parties à compromettre leurs intérêts stratégiques.

La Communauté de Développement de l’Afrique Australe (SADC) a déployé en décembre 2023 une mission militaire régionale (SAMIDRC) près de 5 000 hommes, principalement issus des forces sud-africaines, tanzaniennes et malawiennes. Cette initiative, qui marque un tournant dans l’implication de la SADC en RDC, traduit les inquiétudes croissantes des pays d’Afrique australe face à l’influence rwandaise dans la région des Grands Lacs. Toutefois, cette mission se heurte à des défis considérables : ressources limitées, mandat restrictif et coordination problématique avec la MONUSCO et les FARDC.

La Communauté d’Afrique de l’Est (EAC) avait précédemment déployé une force régionale (EACRF) entre novembre 2022 et décembre 2023, avant son retrait à la demande des autorités congolaises insatisfaites de son efficacité. Cette succession d’initiatives régionales illustre la fragmentation des approches diplomatiques et sécuritaires, ainsi que les rivalités entre organisations régionales pour l’influence dans la résolution du conflit congolais.

Conséquences humanitaires et violences sexuelles

L’impact humanitaire du conflit dans l’est de la RDC atteint des proportions catastrophiques, exacerbées par la récente escalade des hostilités. Selon le Bureau de Coordination des Affaires Humanitaires des Nations Unies, plus de 7,1 millions de personnes sont actuellement déplacées dans les provinces orientales, dont 2,8 millions depuis janvier 2024. Cette crise de déplacement massive génère des besoins humanitaires colossaux dans un contexte d’accès restreint pour les organisations humanitaires.

Les violences sexuelles, systématiquement employées comme arme de guerre, constituent une dimension particulièrement traumatisante du conflit. Médecins Sans Frontières rapporte avoir pris en charge plus de 25 000 victimes de violences sexuelles en 2023 dans cinq provinces de la RDC, soit une augmentation significative par rapport à la moyenne de 10 000 cas annuels observée entre 2020 et 2022. Ces statistiques, bien qu’alarmantes, ne représentent qu’une fraction des cas réels, la majorité des violences demeurant non signalées en raison de l’inaccessibilité des services, de la stigmatisation sociale et de la peur des représailles.

Le phénomène des violences sexuelles en RDC s’inscrit dans un contexte global préoccupant, l’UNICEF estimant que plus de 370 millions de filles et de femmes dans le monde ont subi un viol ou une agression sexuelle avant l’âge de 18 ans. Cependant, la systématisation des violences sexuelles comme stratégie militaire dans l’Est congolais présente une spécificité documentée par de nombreux chercheurs, dont Mukwege et Nangini, qui ont établi des corrélations entre l’intensité des violences sexuelles et les dynamiques de contrôle territorial liées à l’exploitation des ressources.

La dégradation du système de santé, conséquence directe du conflit prolongé, amplifie les effets de ces violences. Selon l’Organisation Mondiale de la Santé, moins de 30 % des structures sanitaires dans les zones de conflit fonctionnent adéquatement, limitant drastiquement l’accès aux soins pour les survivants de violences sexuelles et les autres victimes du conflit. Cette situation s’accompagne d’une prévalence accrue des maladies infectieuses, avec des épidémies récurrentes de choléra, de rougeole et d’Ébola dans les zones de déplacement.

Conclusion

L’analyse du regain de violence dans l’est de la RDC révèle l’interdépendance complexe entre dynamiques locales, régionales et internationales dans la perpétuation d’un conflit aux ramifications multiples. L’exploitation des ressources naturelles demeure un facteur central de cette belligérance, tandis que l’implication de puissances régionales et internationales aux intérêts divergents complique considérablement les perspectives de résolution.

Les récentes escalades autour de Goma illustrent la fragilité persistante de la situation sécuritaire, malgré la multiplicité des initiatives diplomatiques et militaires déployées. La faiblesse structurelle des institutions étatiques congolaises, conjuguée à l’instrumentalisation des clivages ethniques et à l’économie de guerre centrée sur les ressources naturelles, entretient un cycle de violence dont les populations civiles constituent les principales victimes.

Face à cette situation, une approche holistique s’impose, intégrant renforcement institutionnel, transformation économique et réconciliation communautaire. Les initiatives de traçabilité des minerais et de certification des chaînes d’approvisionnement constituent des leviers potentiels pour briser le lien entre ressources naturelles et financement des conflits. Parallèlement, un engagement plus cohérent de la communauté internationale, dépassant les intérêts géostratégiques à court terme, s’avère indispensable pour soutenir efficacement une transition vers la paix durable.

La crise dans l’est de la RDC représente ainsi un défi paradigmatique pour la gouvernance sécuritaire africaine et internationale, dont la résolution nécessite une reconfiguration profonde des approches traditionnelles de gestion des conflits. À l’heure où les tensions géopolitiques mondiales se recomposent, l’avenir de cette région stratégique dépendra largement de la capacité des acteurs locaux, régionaux et internationaux à transcender leurs antagonismes pour construire un cadre de coopération authentique orienté vers la stabilisation et le développement.

 

Références

Agence Ecofin. (2023, février 17). Le contrat chinois en République Démocratique du Congo : un modèle de coopération stratégique gagnant-gagnant. Agence Ecofin.

Groupe d’experts des Nations Unies sur la RDC. (2023). Rapport final du Groupe d’experts sur la République démocratique du Congo. S/2023/782.

International Peace Information Service. (2023). Mapping Artisanal Mining Sites in Eastern DRC.

Sachs, J. D., & Warner, A. M. (1995). Natural Resource Abundance and Economic Growth. National Bureau of Economic Research.

Mukwege, D., & Nangini, C. (2018). Rape with Extreme Violence: The New Pathology in South Kivu, Democratic Republic of Congo. PLOS Medicine.

OCHA. Plan de réponse humanitaire : République Démocratique du Congo.

Organisation Mondiale de la Santé. L’OMS et ses partenaires intensifient leurs efforts pour faire face à la grave crise sanitaire et humanitaire qui sévit dans l’est de la République démocratique du Congo.

Prunier, G. (2009). Africa’s World War: Congo, the Rwandan Genocide, and the Making of a Continental Catastrophe. Oxford University Press.

Reyntjens, F. (2009). The Great African War: Congo and Regional Geopolitics, 1996–2006. Cambridge University Press.

Sachs, J. D. & Warner, A. M. (2001). The curse of natural resources. European Economic Review, 45 (4–6), 827–838.

Stearns, J. (2012). Dancing in the Glory of Monsters: The Collapse of the Congo and the Great War of Africa. PublicAffairs.

Vogel, C., & Musamba, J. (2016). Recycling Rebels? Demobilization in the Congo. Rift Valley Institute.

CapMad. (2024). Pays exportateur de coltan : le Rwanda devance la RDC en 2023.

TRT Afrika. (2024). Au Rwanda, l’exploitation des minerais atteint un record de 1 milliard de dollars en 2023.

Agence Ecofin. (2024). Méga-contrat minier RDC-Chine : Kinshasa exige 17 milliards d’investissements supplémentaires dans les infrastructures. Agence Ecofin.

Agence Ecofin. (2024). La RD Congo et la Chine conviennent d’évaluer régulièrement leurs contrats miniers. Agence Ecofin.

Organisation Internationale pour les Migrations (OIM). (2024). Près de 7 millions de personnes déplacées en RDC : un record. Organisation Internationale pour les Migrations.

Quelle est votre réaction ?

Comme Comme 0
Ne pas aimer Ne pas aimer 0
Amour Amour 0
Drôle Drôle 0
En colère En colère 0
Triste Triste 0
Ouah Ouah 0