Le cas de Ziguinchor, Kolda (Sénégal) et Mopti/Sévaré (Mali)

Les conflits fonciers dans les villes africaines notamment en Afrique de l’ouest constituent une question épineuse relative à la gestion urbaine. Les causes de conflits fonciers sont nombreuses et difficiles à appréhender. Les enjeux qui résultent du sol urbain sont les principaux facteurs de tensions entre les populations urbaines. De ce fait, les villes de Ziguinchor, Kolda au Sénégal et Mopti au Mali sont un terrain idéal afin d’analyser les processus de conflits fonciers, la superposition des droits fonciers ainsi que la diversité des filières d’accès au sol urbain. En effet, l’étalement urbain des grandes villes évolue avec l’augmentation des besoins en logement. Parce que les villes africaines, pour la plupart, ne disposent pas de documents d’urbanisme, de planification qui encadrent l’urbanisation et donc l’occupation du sol.

Car, la plupart des villes d’Afrique de l’Ouest ne détiennent pas ces documents, qui coûtent cher et demandent une main-d’œuvre qualifiée. Du fait de l’absence de ces documents, les conflits fonciers s’avèrent inévitables à cause de l’occupation anarchique de l’espace urbain, du morcellement et de la vente des parcelles d’habitation.

  1. Territoire d’étude

Cet article a pour zone d’étude trois villes de taille moyenne. Deux sont situées au Sénégal, précisément au sud du pays. La région de Ziguinchor issue de la réforme administrative de juillet 1984 qui avait divisé la Casamance en deux régions. Dans cette partie se trouve la ville de Ziguinchor qui porte le même nom que sa région. Elle est située sur la rive gauche du fleuve Casamance à 65 km de son embouchure sur l’océan atlantique.  La deuxième ville Kolda qui porte aussi le même nom que sa région Kolda est issue de la réforme de juillet 1984. Car, avant cette réforme, la Casamance regroupait ces deux régions Ziguinchor et Kolda qui formaient une seule région administrative c’est-à-dire la région naturelle de Casamance.

La troisième ville est située au centre du Mali dans la région du même nom. Elle est limitée au Nord par la région de Tombouctou, au Sud et à l’Ouest par la région de Ségou et à l’Est par la République du Burkina Faso.

1.1 Ziguinchor 

« La ville de Ziguinchor est l’une des plus anciennes cités du Sénégal. Elle est passée successivement de la domination coloniale portugaise (1645-1888) à celle française (1888-1960) pour enfin devenir ville Sénégalaise en 1960 » (Bruneau, 1979, cité par Keita, 2013, p.11).  Site portuaire, sa situation privilégiée au cœur de la Casamance explique son origine et l’intensité de son trafic commercial à l’époque coloniale favorisant ainsi l’arrivée massive de nouvelles populations, et contribuant ainsi à l’extension de son périmètre communal. L’extension de la commune le long du fleuve Casamance est bloquée par deux marigots Boutoute et Djibélor respectivement d’est en ouest, avec une superficie communale de 4450 hectares. « Cette surface s’avère exigüe pour une population estimée à 381 415 habitants en 2012 » (ANSD, 2006, cité par Sakho et Sy, 2013, p.166). Par conséquent, le périmètre communal de la ville devient très insuffisant pour une population qui ne cesse d’augmenter.

1.2 Kolda

            La ville de Kolda est située à l’extrémité-sud du Sénégal. Elle est constituée d’un carré de 3 kilomètres de côté dont le centre est le pont Abdoul Diallo. Actuellement, ce périmètre communal est largement dépassé par l’urbanisation galopante, ce qui pose de véritables contraintes spatiales face à l’extension spatiale de la ville. La population de la commune était estimée à 69 024 habitants en 2012, bien qu’il semble que la réalité soit plutôt 100 000 habitants (pic, 2012) du fait de l’immigration occasionnée par le conflit de la basse Casamance et des turbulences politico-sociales en Guinée Conakry et en Guinée Bissau, ainsi que la forte natalité et les aléas climatiques qui ont frappé le monde rural.

1.3 Mopti/Sévaré

La ville de Mopti est située au confluent du Bani et du fleuve Niger. La ville couvre une superficie de 125 km au carré avec une population estimée à 115 000. « La commune de Mopti est centrée sur la ville du même nom fondée par des pêcheurs Bozos avant l’avènement de la Dinah en 1818. La commune de Mopti a été créée en 1953 et elle devient commune de plein exercice en 1955 » (Conseil Municipal de Mopti, 2002 a cité par Berteau, 2007, p.22). La ville de Mopti se caractérise par une très forte concentration du bâti qui se traduit par une forte expansion urbaine. Cette expansion urbaine s’est réalisée par des emprises successives sur les berges du fleuve Niger.

  1. Éléments de comparaison entre les trois villes de la zone d’étude

La forte pression urbaine des villes moyennes d’Afrique occidentale contribue aux conflits fonciers que connaissent ces espaces urbains de Ziguinchor Kolda et Mopti/Sévaré. Ces villes constituent le creuset de l’urbanisation africaine, surtout dans un contexte où les efforts limités de planification et d’utilisation efficiente des ressources foncières restent pour le moins embryonnaires. L’expansion urbaine rapide s’explique par l’augmentation de l’exode rural engendré par la quête d’une amélioration de la qualité de vie et par des facteurs comme la pauvreté, la sécheresse, les conflits politico-armés, qui poussent les habitants des zones rurales à partir vers les cieux les plus cléments, c’est-à-dire les villes.

Cette forte pression sur l’espace urbain crée des situations de conflits d’origine diverse, notamment les conflits liés à l’accès au sol urbanisable.  « Les conflits et litiges fonciers tiennent depuis longtemps une place importante dans l’actualité mais, ils se sont intensifiés depuis 2010 » (Durand-Lasserve, 2015, p. 83). Nous devons donc observer l’émergence de l’urbain et analyser certains ressorts du phénomène de pression urbaine qui se traduit par des conflits fonciers. Dans ce contexte, les villes de Ziguinchor, Kolda et Mopti sont émaillées de contentieux fonciers qui n’épargnent aucun segment de la société ni les autorités de la gestion foncière.

La situation frontière et de « villes carrefours », la crise casamançaise et celle du Nord Mali, le poids démographique régional, la forte pression urbaine, les contraintes naturelles et juridiques qui bloquent le développement spatial raisonnable, la récurrence des conflits fonciers, ont motivé et présidé le choix de trois villes : Ziguinchor, Kolda et Mopti/Sévaré.

D’une part, ces villes ont quasiment les mêmes caractéristiques : elles sont toutes des villes transfrontalières, elles se trouvent également dans une zone de conflit armé. Nous notons aussi l’importance du territoire urbanisé dans ces trois zones (pays diola (Ziguinchor), pays peul (Kolda), et pays peul (Mopti) (conflit entre Bambara agriculteurs/peuls éleveurs, tiraillement entre autochtones/allochtones). Ainsi, les caractéristiques physiques, économiques, les contraintes naturelles (fleuve Casamance, fleuve Niger), l’épuisement de la limite communale, la concurrence foncière entre la ville et les communes environnantes ont motivé et présidé ce choix. Ces villes ont plusieurs traits communs qui faciliteront la réalisation de notre recherche.

D’autre part, l’accès au foncier est devenu un enjeu de taille pour la population locale depuis quelques décennies. Cet enjeu est lié à la saturation des centres villes, voire même à la raréfaction de la ressource foncière, ce qui fait que la valorisation des terrains à la périphérie s’intensifie, le sol est devenu un bien marchand. De ce fait, les enjeux de pouvoir et les conflits d’intérêt entre les différents usagers du sol ont commencé à prendre de l’ampleur dans toutes les villes moyennes sénégalaises et maliennes, notamment les villes de Ziguinchor, Kolda et Mopti/Sévaré. Plus spécifiquement, sur le plan juridique, les similitudes entre ces trois villes reposent sur la diversité des droits fonciers et le pluralisme juridique qui prédominent (systèmes coutumier /droit moderne). « Les droits fonciers sont relatifs à plusieurs aspects : l’accès, l’utilisation, la vente ou la location et la transmission (héritage, don, etc.). Ces droits peuvent être individuels ou collectifs et varient en fonction des différents régimes étatique, coutumier ou parfois religieux » (Chenal et al., 2018, p.13).

 En raison de la confusion due à la superposition de divers droits, la plupart des villes africaines font face à une multiplication des litiges et des conflits. Cela signifie que l’appropriation n’est jamais certaine et génère une forte insécurité foncière. En parallèle, certains profitent de cette situation pour spéculer et empocher des plus-values au détriment de la collectivité publique. « Le manque de maîtrise du foncier est la cause de nombreuses difficultés qui handicapent le développement harmonieux » (Chenal et al., 2018, p.13), des villes moyennes en l’occurrence Ziguinchor, Kolda et Mopti/Sévaré. Également, nous remarquons le manque ou l’absence de plan directeur d’urbanisme, de schéma d’occupation du sol dans ces villes, contribuant ainsi à la recrudescence des problèmes fonciers. Car dans ces villes, le plus souvent l’habitat précède le lotissement, en raison de l’obtention complexe et coûteuse du titre foncier.

  1. Conflits fonciers et villes moyennes en Afrique de l’Ouest 

En Afrique, « l’histoire est traversée de ruptures dont il reste des traces dans l’évolution des formes d’urbanisation : héritage méditerranéen antique (en Afrique du Nord), héritage de l’islam de la colonisation et indépendance » (Dauvergne, 2011, p.44). Néanmoins, les villes africaines existaient déjà, depuis longtemps, malgré leur diversité avec la ville occidentale, sous l’ère industrielle. Avant la colonisation, « les premières villes africaines étaient consacrées au commerce : d’abord, elles étaient situées dans les zones transsahariennes, souvent sur les routes commerciales entre l’Afrique du Nord et l’Afrique subsaharienne » (Brunel, 2004, cité par Dauvergne, 2011, p.44). Elles servaient de passerelle et d’échange entre ces deux peuples, afin de faciliter la circulation des biens et des personnes. Cependant, la véritable période d’expansion des villes africaines s’est produite au XIXe siècle sous l’effet de plusieurs facteurs conjugués.  « Au XIXe siècle a eu lieu une véritable révolution urbaine, avec l’influence des Occidentaux et le début du capitalisme marchand » (Coquery-Vidrovitch, 1988, cité par Dauvergne, 2011, p.44).

La colonisation a marqué le début de la création des villes, pour des raisons diverses. Tout d’abord, pour se servir de capitales administratives (siège du pouvoir colonial). Ensuite de comptoirs commerciaux et de transport de marchandises. Ainsi, à mesure que le commerce avec l’Afrique prend de l’ampleur, les comptoirs commerciaux vont devenir les grands centres de regroupement de produits locaux exportés vers l’Occident et les centres de redistribution des marchandises importées et d’esclaves en provenance de l’Europe et de l’Amérique. La période coloniale est à l’origine de la création de la plupart des villes pour des raisons économiques, mais surtout de transport de marchandises. Car les transports maritimes et fluviaux constituaient les seuls moyens d’acheminement des produits récoltés dans les différentes colonies. En effet, pendant toute la période coloniale, les colons se sont plus intéressés aux côtes qu’à la terre ferme. De ce fait, après les indépendances, ces villes côtières ouest africaines sont devenues des villes importantes par leur taille, leur poids démographique et économique.

Cependant, en marge de ces grandes villes, se greffent des villes moyennes, qui jouent un rôle crucial dans la tendance urbaine actuelle de l’Afrique. Les villes moyennes ont été pendant longtemps « marginalisées » dans la recherche scientifique des études urbaines, dont la plupart des études étaient consacrées aux grandes villes, aux métropoles, aux agglomérations. Mais, à partir des années 1980, la recherche sur les villes moyennes a commencé à attirer l’attention des chercheurs. Depuis le début des années 1980, un nombre croissant de chercheurs s’intéressent aux villes moyennes d’Afrique noire. « Dans les années1980, les villes moyennes d’Afrique noire sont devenues un objet de réflexion partagé par un nombre croissant de chercheurs » (Bertrand et Dubresson, 1997, p.8). 

La majorité des villes moyennes africaines ont été créées pour des vocations administratives et commerciales. En effet, l’essor économique de ces centres moyens a rapidement provoqué l’afflux massif de ruraux en quête de meilleures conditions de vie. Cette arrivée massive de nouvelles populations se traduit par la croissance urbaine extensive. L’excédent des naissances s’ajoute aux mouvements de population qui ont fortement contribué à la dynamique urbaine de Ziguinchor, Kolda et Mopti/Sévaré.  Ces centres urbains deviennent attractifs et nous notons la présence de nombreux migrants venus de partout. Cette dynamique de la population et de l’habitat exige des communes moyennes, la nécessité de trouver de nouveaux espaces pour satisfaire la forte demande en parcelles d’habitation. Cette demande massive de logements et d’habitation est l’une des causes de nombreux conflits fonciers que connaissent ces villes moyennes notamment Ziguinchor, Kolda et Mopti.

En effet, un conflit foncier est une mésentente entre deux ou plusieurs parties sur un terrain. La population qui arrive dans les espaces urbanisés nécessite la construction de logements qui concourent à l’étalement urbain. Par conséquent, l’habitat reste en effet le principal moteur de l’expansion spatiale des villes sénégalaises et maliennes surtout des villes moyennes comme Ziguinchor, Kolda et Mopti. Ces localités urbaines sont devenues de véritables villes attractives pour leur hinterland. L’importance de la croissance démographique des villes de Ziguinchor, Kolda et Mopti/Sévaré sous l’effet de plusieurs, s’est accompagnée de dynamiques urbaines exponentielles. L’urbanisation rapide des villes de Ziguinchor, Kolda et Mopti/Sévaré interpelle la problématique des conflits fonciers qui sévissent dans ces différentes communes. Ce qui fait que, l’urbanisation démesurée de ces villes pose des problèmes aigus notamment pour l’accès au sol. 

Selon la tradition africaine, les sociétés donnent à la terre un caractère sacré dont sa prise de possession, donne un droit d’usage, qui est attribué par le maître des terres, c’est-à-dire le premier occupant, ayant trouvé un domaine à l’état vierge. Il a défriché et brulé l’espace : ce qu’on appelle le droit de hache et du feu.  En contrepartie de la rétrocession, de ce droit aux nouveaux arrivants, le chef des terres (appelé Laman en Wolof), reçoit un droit d’installation qui est versé en nature soit : du mil, du blé, du sorgho, du riz par le bénéficiaire. Cependant, à partir de la domination coloniale, suivie plus tard par les indépendances des États africains, la gestion communautaire des terres a commencé à changer, ainsi que son appropriation. Le foncier urbain devient alors un véritable objet d’échange et de marchandisationqui résulte aux problèmes fonciers.

Ainsi, le sol est devenu un objet de convoitise, d’échange mais également source de conflits. Car bon nombre de conflits urbains, proviennent du foncier. « La terre est devenue un objet économiquement valorisé et se transforme donc souvent en marchandise. Ce phénomène est renforcé dans les villes par une augmentation de la pression sur les terres à cause d’une croissance démographique considérable » (Lavigne-Delville, 2000, cité par Nkundibirama Runezerwa, 2007). Ce phénomène génère le plus souvent des conflits fonciers.

Pour remédier à cette gestion « chaotique » du foncier, l’État a mis en place une gestion décentralisée du foncier aux collectivités territoriales. « Ne pouvant intervenir de manière adéquate au niveau central sur la diversité des situations locales, de nombreux États se sont engagés dans des processus de décentralisation qui transfèrent des compétences administratives spécifiques à des autorités locales. Ceci, est justifié dans le domaine foncier où au plus près de la population, les autorités locales semblent être, plus proches, à gérer les parcelles, les conditions d’accès au terroir par les différents ayants droit, le maintien d’un partage équitable et durable de l’accès au foncier »[1]

 La loi no 64-46 du 17 juin 1964 définissant le domaine national du Sénégal atteste la volonté des autorités administratives de l’époque, de démocratiser l’accès aux terres. Dans ce contexte, la gouvernance foncière a été mise parmi les compétences transférées aux collectivités territoriales. Le transfert de responsabilités aux collectivités territoriales sans transfert concomitant de ressources financières et humaines nécessaires n’a fait qu’aggraver la situation déjà tendue. En effet, la complexité de la gestion foncière, les problématiques dont elle est porteuse et le capital social qu’elle mobilise révèlent que le sol urbain est devenu l’objet de toutes les convoitises.

 Malgré, ce vaste catalogue de la législature foncière, les conflits qui en résultent s’accentuent et perdurent. Pourquoi la gestion foncière pose autant de problèmes ? À quoi sert toute cette législature foncière depuis l’indépendance jusqu’à nos jours ? Les textes sont-ils obsolètes ? Afin de remédier aux récurrents conflits fonciers, l’État devrait mettre en place une législation foncière adaptée aux réalités sociales et sociétales de nos pays.

Cependant, les problèmes fonciers sont devenus si récurrents et préoccupants en Afrique, qu’ils intéressent tous les décideurs (ONG, État, organisation de défense des ressources locales). Les études anciennes et récentes (Coquery-Vidrovitch, 1988; Bertrand, 1993; Bertrand et Dubresson, 1997; Lavigne-Delville, 2000; Diop, 2012; Diallo, 2017; Chenal et al., 2018) ont toutes montré l’ampleur des tensions foncières qui affectent les sociétés africaines, qu’elles soient rurales ou urbaines. Ainsi, la nécessité de contribuer à la recherche sur les problèmes fonciers dans les villes moyennes en général, et, celles de Ziguinchor, Kolda et Mopti/Sévaré en particulier s’impose.

 L’ambition est donc avouée, il s’agit à partir de trois études de cas d’identifier trois localités propres à la ville moyenne ouest-africaine. Dans ce cas, il est intéressant de cerner les enjeux qui font des villes moyennes un thème digne d’intérêt pour un travail scientifique. Ainsi il est crucial, voire « urgent », de réaliser des études sur cette thématique pour mieux appréhender le problème central des questions foncières qui sont devenues un véritable problème pour la population locale des villes de Ziguinchor, Kolda et Mopti/Sévaré.

  1. Les villes moyennes ouest-africaines sont-elles les plus exposées aux problématiques foncières ?

Les trois dernières décennies de l’histoire des villes sénégalaises et maliennes ont été témoin de mutations profondes dans tous les domaines de la société, d’un début d’un processus d’urbanisation exceptionnel et d’une dynamique de transfert des populations et des capitaux vers les centres urbains (Madani, 2012). Depuis quelques décennies, les villes moyennes connaissent des taux de croissance urbaine élevés. Au cours de ces quarante dernières années, le taux d’urbanisation de Ziguinchor est passé de 29,7 en 1976 à 33,7% en 1988 et de 46,9% en 2002 à 46,0 en 2013. En même temps, le taux d’urbanisation de Kolda a évolué de 8,4% en 1976 à 10,6% en 1988 et de 13,5% en 2002 à 26,0 en 2013 (ANSD, 2013). En quarante ans, le taux d’urbanisation de Ziguinchor et Kolda a augmenté de 16,3% pour la première et de 17,6% pour la deuxième.

En ce qui concerne la ville de Mopti/Sévaré, sa population urbaine est passée de 2,8% en 1976 à 8,6% en 2009. Le taux d’urbanisation de Mopti/Sévaré est passé de 2,8% en 1976 à 8,6% en 2009 (INSTAT, 2009). La faiblesse de l’urbanisation de Mopti/Sévaré par rapport à Ziguinchor et Kolda est due à la faible proportion urbaine du Mali dans le Sahel. Car, le taux moyen d’urbanisation du Mali demeure relativement faible comparé aux autres pays de la sous-région ouest-africaines notamment le Sénégal dont le taux d’urbanisation était de 40% en 2009 et 45,2% en 2013, tandis que celui du Mali est estimé à 22,5% (ANSD, 2013, INSTAT, 2009).

D’une part, cette expansion du tissu urbain est due en grande partie à l’important exode rural qui gangrène les sociétés campagnardes. D’autre part, elle est due à un fort taux de natalité malgré une baisse remarquable de celle-ci depuis les années 2000. Tous ces facteurs contribuent à la forte urbanisation que connaissent les villes africaines, conduisant à des problèmes multiples et multiformes. En effet, les villes moyennes sénégalaises concentreraient 29,2% de la population urbaine du pays. 

Ainsi la recomposition des territoires urbanisés se matérialise par l’augmentation de la consommation de l’espace urbain, conduisant au rétrécissement des espaces ruraux environnants. De ce fait, cette forte pression sur l’espace urbain génère des problèmes fonciers multiples qui conduisent aux conflits récurrents pour l’accès au sol, son usage, son appropriation et agissent sur les dynamiques urbaines de Ziguinchor, Kolda et Mopti/Sévaré. L’extension de ces villes moyennes est souvent accompagnée de processus informel d’occupation des espaces. Au lieu que « les quartiers d’habitats soient édifiés sur des terrains appropriés, puis lotis et équipés, le processus est inversé : il commence sur le terrain par la construction du logement ; la viabilisation du site vient plus tard, à l’occasion d’opérations de restructuration du quartier et d’une éventuelle régularisation »[2] Cette tendance est à l’origine de plusieurs conflits fonciers qui affectent les sociétés urbaines.

Dans un contexte de forte demande de terre et de marchandisation de celle-ci, le sol urbain ne cesse de prendre de la valeur. En raison de sa monétarisation croissante amenée par l’urbanisation accélérée du XXIe et du fait qu’elle est un objet d’échange, un instrument de crédit, une ressource naturelle et un bien qui peuvent servir d’assiette aux investissements, la terre est devenue un objet de toutes les convoitises pour les habitants des villes de Ziguinchor, Kolda et Mopti/Sévaré. En effet, les problèmes fonciers peuvent facilement déboucher sur des conflits. Car la terre représente un bien économique et un moyen de subsistance important. Elle est étroitement liée à l’identité des peuples, à l’histoire et à la culture communautaire. Les communautés urbaines de Ziguinchor, Kolda et Mopti/Sévaré peuvent donc facilement se mobiliser lorsque des problèmes fonciers surviennent, faisant de la terre un élément central du conflit. Les problèmes fonciers peuvent également être étroitement liées aux intérêts politiques, ou manipulées par ces derniers lors que les enjeux fonciers apparaissent. Dans ce contexte, les conflits fonciers prennent alors une allure dangereuse à partir du moment, où les mécanismes sociaux et les institutions nécessaires à leur résolution deviennent impuissants, ouvrant ainsi la voie à la contestation des peuples concernés.

Si en zone rurale, les conflits fonciers opposent généralement éleveurs et agriculteurs relativement au parcours du bétail et aux délimitations des champs (Ndiaye, 2015), en milieu urbain, ils épousent des formes plus complexes et opposent particulièrement différents acteurs : autochtones et allochtones ; populations (autochtones elles-mêmes) ; municipalité et particuliers ou même deux communes voisines pour le contrôle des villages susceptibles de créer des réserves foncières. Sous l’effet de changements multiples (sociaux, économiques, politiques et législatifs), les pratiques foncières locales se sont diversifiées et transformées de façon dynamique. Le besoin en espace grandit, tout comme les enjeux autour du foncier se multiplient. En effet, le foncier fait l’objet de convoitise et crée alors une compétition entre différents acteurs (autochtones, allochtones, particulier, communes voisines, État).

De plus, les inondations de 2010 dans les quartiers anciens de Ziguinchor et Kolda, et Mopti ont poussé les couches aisées à se replier à la périphérie. Ceci est accompagné par la saturation du centre-ville. Mais depuis l’avènement des moyens de communication en 2015 pour Ziguinchor et 2018 pour Kolda (transport en commun; mototaxi, des minibus tatas), qui rallient toutes les artères de ces deux villes, la situation s’est accentuée.  Les habitants sont plus motivés à résider en périphérie. En outre, la pratique de l’agriculture urbaine constitue un autre facteur de déplacement de la population en l’occurrence des réfugiés ayant fui le conflit armé en Casamance, ou des personnes qui n’ont d’autre recours que la pratique agricole afin de subvenir à leurs besoins. Nous notons également le coût faible du loyer dans ces quartiers ainsi que la présence de parcelles plus vastes. De ce fait, la périphérie intéresse beaucoup les demandeurs de terres du fait du problème d’espace qui se pose avec acuité dans le centre-ville.

Le principal objet de conflit est sans conteste lié à la maîtrise du foncier urbain entre les populations autochtones qui se considèrent être les véritables propriétaires des terres et les populations allochtones (émigrés, réfugiés du conflit Casamançais, du nord Mali, populations venant de la sous-région ouest africaine, qui fuient les exactions et les violences qui ont eu lieu en Guinée Conakry en Guinée Bissau et en Gambie ces dernières années. Nous remarquons la même situation au Mali récemment avec le conflit au nord du pays. Dans ce contexte, Mopti au Mali est devenue un refuge pour des populations venant du nord, du Niger, du Burkina Faso. « Le dynamisme économique des zones transfrontalières, l’apparition concomitante de nouveaux pôles urbains ou la densification des pôles plus anciens confèrent aux villes frontières de Ziguinchor, Kolda et Mopti une attractivité certaine qui se traduit par des phénomènes migratoires importants et une intensification problématique de la pression foncière » (CRDI et ENDA-DIAPOL, 2007, p.181). 

Avec la décentralisation, la répartition des pouvoirs relative à la gestion foncière est en cours de négociation tant sur le plan traditionnel, qu’ethnique et politique(Geneviève, 2007). Dans ce contexte, ne pouvant pas intervenir de manière appropriée au niveau central sur la diversité des affaires locales, les États sénégalais et maliens se sont vite engagés dans un processus de décentralisation. Cette décentralisation consiste le transfert de compétences administratives spécifiques aux collectivités locales. « Cela est particulièrement justifié dans le domaine du foncier urbain, où, les autorités locales, plus près de la population, semblent en effet les plus à même de gérer les parcelles, et le maintien d’un partage équitable et durable de l’accès au foncier »[3]

Cependant, « la mise en place d’un tel processus de décentralisation de la gestion du foncier dans les pays est souvent une affaire complexe. Le transfert de compétences affirmé dans la loi n’est pas toujours effectif et les ressources nécessaires à l’exercice de nouvelles prérogatives par les collectivités locales souvent oubliées. De plus, de nouvelles formes de concurrence peuvent apparaître entre les services décentralisés de l’État, les collectivités locales, les nouveaux acteurs de la gestion du foncier et les autorités coutumières »[4]

Les transactions en Afrique subsaharienne portent, dans leur grande majorité, sur des droits de propriété non reconnus légalement et ne font pas l’objet d’un enregistrement ayant une valeur légale, car dans plusieurs transactions, le seul document témoin est l’acte de vente. Même si, l’acte de vente n’est pas juridiquement légal aux yeux des autorités de la gestion foncière. De plus, dans plusieurs transactions, les habitants ont recours aux intermédiaires fonciers qui représentent alors une solution de facilité, mais aussi des contraintes nombreuses. Les politiques publiques se négocient au regard de ces actions individuelles.

Dès lors, comment le sol urbain est-il approprié par les différents acteurs ?  Quels impacts produisent les pratiques foncières sur les dynamiques urbaines?   

Comment la pluralité des acteurs de la gestion foncière influence-t-elle les conflits fonciers? Les acteurs de la gestion foncière jouent-ils pleinement leurs rôles ? Quels sont les acteurs directs et indirects liés à l’affectation des terrains urbains dans ces villes ?

Bibliographie 

Agence Nationale de la Statistique et de la Démographie (ANSD) (2013) Recensement général de la population et de l’habitat, de l’agriculture et de l’élevage. Rapport définitif, RGPHAE 2013 (République du Sénégal Ministère de l’Économie, des Finances et du Plan, 418 pages.

Agence nationale de la statistique et de la démographie du Sénégal (2006) Sénégal, résultats du troisième recensement général de la population et de l’habitat de 2002. Rapport national de présentation. Dakar, République du Sénégal, ministère de l’économie et des finances, agence nationale de la statistique et de la démographie, 163 pages, dans SAKHO Papa et  SY Omar, Dynamiques des paysages périurbains de la ville de Ziguinchor au Sénégal, citoyennete et transformations sociales en afrique, CAREDE, http://www.carede.org/IMG/pdf/Revue_PS_Volume_5_Numeros_1_2-2.pdf [consulté le 11 avril 2017]

BERTRAND, Monique (1993) Plaidoyer pour les centres urbains secondaires en Afrique au sud du Sahara, Revue Tiers-Tonde, n°133, pp.117-138 dans BERTRAND, Monique et DUBRESSON, Alain (1997) Petites et Moyennes villes d’Afrique Noire. Paris, Karthala, 326 pages

BRUNEAU, Jean-Claude (1979) La croissance urbaine dans les pays tropicaux : Ziguinchor en Casamance, une ville moyenne du Sénégal. Travaux et documents de géographie tropicale, CNRS, Bordeaux, N° 36, 163 pages dans KEITA, Arfang Fodé (2013) La mutation des terres agricoles autour de Ziguinchor. Mémoire de master 2, université Cheikh Anta Diop de Dakar, Faculté des Lettres et Sciences Humaines, département de géographie, 96 pages.

CHENAL, Jérôme, DIAGANA, Isagha et HASLER, Stéphanie (2018) Villes africaines : Restructuration des quartiers, 57 pages https://infoscience.epfl.ch/villes_africaines.

COQUERY-VIDROTCH, Catherine (1988) Villes coloniales et histoire des Africains vingtième siècle, revue d’histoire, volume 20/ numéro 1/ pp. 49-73 dans DAUVERGNE, Sarah (2011) Les espaces urbains et périurbains à usage agricole dans les villes d’Afrique sub-saharienne (Yaoundé et Accra) : une approche de l’intermédiarité en géographie. Thèse de doctorat, université de Lyon, ENS, 391 pages.


[1] www.foncier-developpement.fr.  

[2] www.foncier-développement.org.

[3] www.foncier-développement.fr 

[4] www.foncier-développement.fr

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