Ce n’était plus qu’une question de temps avant que le président Macron ne décide d’acter le retrait (côté malien on parle de départ exigé par le pouvoir en place) des militaires français du Mali dont la présence n’est plus souhaitée par les autorités gouvernementales. Un véritable camouflet pour l’ancienne puissance coloniale qui se voit ainsi perdre une partie stratégique de sa zone d’influence francophone. À l’Élysée, plusieurs arguments sont avancés à charge à l’égard du régime malien pour justifier ce départ auprès de l’opinion publique internationale et nationale. Cependant, leur analyse permet de mettre en relief les errements et incohérences d’une politique étrangère de la France qui ont fini de sonner le glas d’une longue relation historique, mais compliquée ces dernières années entre Bamako et Paris.

Comment en est-on arrivé là ?

Alors que le président Emmanuel Macron récuse le terme d’échec, il est difficile de ne pas l’appréhender comme tel si l’on considère les objectifs de départ de l’opération Serval. Accueillis neuf ans auparavant sous les applaudissements et l’euphorie à Bamako en 2013, les militaires français sont sommés de quitter le territoire malien et cela sans délai. Un camouflet symbolique et non moins humiliant pour l’ancienne puissance coloniale dont le poids sur la scène internationale est tributaire de son influence sur le continent africain. Après des succès importants dans les premières années sur le sol malien avec des territoires recouvrés, le péril jihadiste n’a pas pour autant disparu et s’est même métastasé dans la région avec des attaques sporadiques violentes. Au 8 janvier 2020, l’ONU avait noté que le nombre de victimes d’attaques terroristes au Mali, au Niger et au Burkina Faso avait été multiplié par cinq. L’organisation dans son rapport mentionnait également des déplacements de personnes d’environ un demi-million en plus de 25 000 personnes qui ont trouvé refuge dans d’autres pays[1]. Ces attaques instaurant une insécurité permanente malgré les moyens militaires de la coalition ont installé un sentiment mitigé chez les populations. Celui-ci est même vécu chez beaucoup de jeunes comme un manque de volonté d’en finir avec ces groupes armés et une stratégie de la France de prolonger sa présence au Mali pour défendre ses intérêts économiques. Cette situation finit par faire naître des réflexes nationalistes avec la forte conviction que l’armée française est, in fine, une armée d’occupation sur le territoire malien. Cette lecture des choses était d’autant plus plausible chez les jeunes que depuis quelque temps, un sentiment anti-français est dans l’air en Afrique francophone de manière générale et au Mali en particulier. Au Sénégal, en mars 2021, des émeutes sociales avaient laissé voir des attaques sans précédent d’enseignes françaises un peu partout à Dakar et à l’intérieur du pays. Un message envoyé à Paris par des jeunes avec la sensation que leur pays est encore sous l’emprise d’une France néocolonialiste qui, de surcroît, soutient le président Sall en manque de popularité. Les blocages et attaques des convois militaires français aussi bien au Burkina Faso qu’au Niger sont également des illustrations éloquentes d’un rejet de la politique française en Afrique. Colère et frustration ne se limitent pas seulement aux civils, mais atteignent aussi les militaires qui se sentent délaissés et humiliés surtout par le manque de moyens. Au niveau social, la situation s’est dégradée, installant des tensions entre communautés particulièrement, entre les Peuls et les Dogons conduisant à des tueries de masse. Ce contexte lourd sera propice à l’avènement du coup d’État militaire qui interviendra en 2020 contre le président IBK.

L’échec de Barkhane est aussi la révélation au grand jour de divergences plus profondes entre autorités françaises et maliennes sur bien des points. L’échec diplomatique entre les deux pays, fut également cette incapacité pour eux de se mettre d’accord sur la volonté malienne de négocier avec les jihadistes pendant que la France y est clairement opposée. Les négociations avec les jihadistes ont toujours été dans la ligne de mire des différents régimes qui se sont succédés depuis l’éclatement de la crise. En revanche pour la France, il a toujours été hors de question de négocier avec les combattants jihadistes, une position de principe voire classique dans les relations internationales. En tout état de cause le régime malien y reste très favorable et il est fortement probable que les négociations soient de nouveau à l’ordre du jour avec le départ de Barkhane. Celles-ci auront au moins l’avantage de repartir sur du concret avec les recommandations faites par la Conférence nationale d’entente en 2017, puis par le Dialogue national inclusif en 2019.

Le Monde

La Russie, en bouc émissaire…

Pour expliquer la situation qui prévaut actuellement au Sahel, un coupable est clairement désigné en l’occurrence la présence militaire russe. Elle est accusée à travers le groupe Wagner (une société militaire privée) de contribuer à saper le travail qu’effectue la France au Sahel par une manipulation des jeunes sur les réseaux sociaux. Malgré les dénégations du régime malien sur une quelconque présence de milices russes, la France continue de croire que c’est Moscou qui est derrière le sentiment anti-français montant. Pour Emmanuel Macron « l’anti-France et la haine de la France qui s’expriment sur les réseaux sociaux en Afrique sont financés notamment par la Russie »[2]. Une telle causalité reste cependant à être établie même si la Russie depuis quelques années maintenant avance ses pions en Afrique à l’image de la Chine ou encore de la Turquie. Pour autant, les manifestations dans les grandes capitales africaines en soutien à Bamako ont le plus souvent été spontanées même si l’usage des réseaux sociaux a pu grandement aider aux mobilisations. En accusant la Russie, Paris risque aussi de se voiler la face sur l’activisme de plus en plus important chez les jeunes sur le continent. Ils sont nombreux à reconnaître qu’il y a un échec dans la consolidation de la démocratie dans leurs différents pays. Elle y est le plus souvent formelle limitée à l’exercice du vote lequel est très souvent d’ailleurs détourné dans certains pays de façon ostentatoire. Et quand des processus électoraux sont vus comme entachés d’irrégularités, que certains candidats inéligibles pour un troisième mandat aient pu participer et remporter des élections, qu’ils sont ensuite reçus à l’Élysée, très naturellement cela soulève beaucoup de colère. Les mobilisations de frustration et les sentiments « anti-français » ne peuvent par conséquent être simplement appréhendés comme résultant d’une quelconque manipulation. D’ailleurs c’est dans cette jeunesse africaine que le président français avait convié quelques-uns à Montpellier pour un dialogue franc et direct. C’est à se demander ce qui a changé entre-temps ?

. / AFP / ANNIE RISEMBERG

Quelles conséquences géopolitiques ?

Le départ des forces françaises sous l’injonction des autorités maliennes constitue un soufflet pour la France qui essuie un revers inattendu. Venue en sauveur sous les applaudissements de millions de Maliens, elle repart près d’une décennie plus tard par la petite porte. Elle n’a pas su convaincre pendant toutes ces années de présence de sa volonté et peut-être même aussi de sa capacité à éradiquer la menace jihadiste. Frustration, colère et même soupçons de connivence avec les jihadistes notamment dans le nord du Mali ont fini par avoir raison de sa présence dans le pays. La brouille diplomatique avec le régime malien actuel n’est que le dernier soubresaut du rejet par la jeunesse francophone avertie, de la Françafrique qui survit encore dans l’imaginaire collectif et alimente le sentiment anti-français. Le départ de la France laissera un vide qui sera sans nul doute occupé par la Russie comme en Centrafrique. Par son attitude mal inspirée ayant conduit à la rupture diplomatique, elle sera obligée de faire face à la présence russe avec qui désormais, elle cohabitera en Afrique de l’Ouest. C’est d’autant plus évident que les manifestations au Burkina Faso montrent des scènes de mobilisations avec des drapeaux russes brandis par les jeunes. Dans la région, l’attrait pour la Russie n’est pas nouveau, il est même très ancien remontant particulièrement pour le Mali à la coopération qui existait avec l’Union soviétique. Par ailleurs le redéploiement des troupes françaises au Niger n’est pas encore acquis, car illégitime auprès de certains mouvements de la société civile nigérienne et certains opposants au président Mohamed Bazoum. Ce dernier a fait le choix de soumettre la question à la représentation nationale et non à un référendum comme le souhaite l’opposition. C’est dire toute la complexité de la situation actuelle pour la France dans la zone sahélienne qui va probablement privilégier un repli vers les pays côtiers.

Pour autant, une coopération russo-malienne ne veut pas dire que la lutte contre le jihadisme au Sahel sera un triomphe dans les mois à venir. Les guerres asymétriques sont beaucoup plus complexes et sont surtout des guerres d’usure. Dans le cas du Mali, le combat contre l’obscurantisme est rendu encore plus difficile par la capacité des jihadistes à se fondre dans la masse et à jouer sur les différends entre communautés ethniques.

Plus que jamais, la France a besoin de refonder sa politique africaine dans un cadre transparent. Elle aura besoin d’être moins arrogante, de ne pas soutenir des candidats illégitimes aux élections contre la volonté populaire. Elle devra donner des garanties de sa bonne foi pour regagner la confiance qu’elle a perdue notamment, auprès des jeunes qui deviendront une vraie force politique dans les années à venir.


[1] https://news.un.org/fr/story/2020/01/1059551

[2] https://www.lefigaro.fr/international/sahel-macron-denonce-des-puissances-etrangeres-alimentant-les-discours-antifrancais-20200114

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