Depuis 2017, le Mozambique, pays d’Afrique du sud-est fait face à une insurrection au nord de son territoire par une mouvance musulmane locale. Le pays est très pauvre et se remet encore difficilement de la longue guerre civile qu’a connue le pays au lendemain de son indépendance du Portugal en 1975 après une sanglante guerre anticoloniale. La corruption y est endémique, les infrastructures souvent très faibles voire absentes ou fortement inégalitaires selon les régions. Cet état de fait est encore plus visible dans la province du Cabo Delgado qui est historiquement parmi les régions les plus délaissées et pauvres du Mozambique et où la communauté musulmane en particulier est la plus marginalisée. La région est pourtant riche en ressources naturelles mais, là encore, la population locale n’en a pas tiré profit. C’est dans ce contexte difficile que des mouvances contestataires ont émergé dans cette zone conduisant par la suite à la situation insurrectionnelle actuelle.

  1. Les origines de la révolte

L’origine de l’insurrection que connaît aujourd’hui le Cabo Delgado remonte au début des années 2000. Une organisation appelée « Ansar Al-Sunna » [1]voit le jour et veut instituer dans la région une version jugée plus stricte de l’islam que celle promue par le Conseil Islamique du Cabo Delgado. Un groupe de jeunes issus d’Ansar Al-Sunna va cependant se développer pour former une secte encore plus radicale. La population locale les nomme les « Al-Shabab[2] ». Leurs convictions religieuses auraient été en grande partie apportées dans cette région du Mozambique par des étudiants en théologie ayant reçu leurs formations en Arabie Saoudite et dans d’autres pays du Golfe.

Très vite, des tensions vont apparaître entre le groupe et le reste de la population locale. Un des faits les plus marquants fut en 2015, lorsque les militants du groupe tentèrent d’interdire l’alcool dans une ville provoquant par la suite des affrontements avec les forces de l’ordre qui conduisirent au décès d’un policier.

 Cet état de fait a poussé les organisations musulmanes locales a demandé directement au gouvernement mozambicain d’agir. Mais ce n’est qu’en 2016 que le gouvernement a afin décidé d’agir et a traduit en justice de nombreux leaders du mouvement[3]. Ces poursuites judiciaires semblent être le point de départ du passage à l’acte violent du groupe Al-Shabab qui commencera sa lutte armée en 2017.

  1. La militarisation de la révolte et l’incapacité des autorités locales

Au total, on compte près de 2000 tués et 300 000 déplacés lors de ces violences et les forces mozambicaines s’étant vite retrouvées dépassées par les évènements faute d’organisation et d’infrastructures compétentes.

 Aujourd’hui, Ansar Al Sunnah est devenu un mouvement très bien organisé équipé militairement et peut déjà rivaliser avec les forces étatiques voire même être en position de force par rapport à eux, l’Etat ayant été toujours très faible dans cette région[4]. Les militants sont arrivés à développer leurs armements et leurs moyens de recrutements en grande partie grâce à leurs liens avec les trafics locaux mais aussi avec l’aide de dons de leurs « fidèles »[5]. Cette situation a affaibli le moral des soldats et de nombreuses désertions ont été observées. De plus, de nombreuses ONG ont fait état de plusieurs abus de la part des forces de sécurité mozambicaines, ce qui pourrait faire répéter les erreurs commises dans d’autres régions d’Afrique où à cause des violences commises par des forces gouvernementales les citoyens n’ont plus confiance en ces derniers que dans les rebelles armés[6].

Ansar Al Sunnah contrôle aujourd’hui la ville de Mocimba da Praia et plusieurs autres villes et les iles alentours que les forces armées n’ont pas été capables de reconquérir.

Depuis peu, l’ensemble des attaques et actions du groupe sont revendiquées par DAECH mais cependant les liens réels entre l’organisation basée au Levant et le groupe Mozambicain sont aujourd’hui controversés. Les liens entre des groupes plus proches géographiquement tels que les ADF[7] basés en République Démocratique du Congo semblent en revanche de plus en plus clairs, ce dernier ayant également prêté allégeance à Daech[8]. De nombreux rapports ont déjà rapporté le déplacement avéré de combattants du groupe congolais au nord du Mozambique. Des coopérations logistiques semblent également s’être développées[9].

Au vu du risque de voir un danger terroriste transnational s’installer durablement dans cette zone instable de l’Afrique, le conflit tend à s’internationaliser de plus en plus. Ainsi des mercenaires russes du groupe Wagner sont déjà impliqués et les pays voisins du Mozambique sont également de plus en plus présents que ce soit l’Afrique du Sud ou depuis peu la Tanzanie (pays directement frontalier du Cabo Delgado où l’insurrection frappe). L’état mozambicain ne semble aujourd’hui pas en mesure de contrecarrer l’insurrection, plusieurs villes étant occupées depuis plusieurs mois sans que l’armée nationale n’ait pu les en déloger. Au départ, menant une simple révolte liée à la répression d’un mouvement religieux à l’arme blanche, les rebelles se sont peu à peu « perfectionnés » en termes d’équipements et de stratégies militaires. Les liens de plus en plus forts avec d’autres groupes « islamistes » de la région et l’incapacité des gouvernements à maîtriser les régions où sévissent ces groupes laissent présager une possible « sahelisation » de cette partie de l’Afrique, les phénomènes sociétaux ayant déclenchés la situation actuelle au Sahel sont en effet similaires avec ce que l’on observe aujourd’hui dans le nord du Mozambique et dans d’autres pays de la région comme l’est du Congo : la pauvreté, la corruption, l’absence de l’état, la


[1] Littéralement « défenseur de la tradition »

[2] Littéralement « Les jeunes » et est le nom de la filiale d’Al-Qaëda opérant en Somalie

[3] Eric Morier-Genoud, « Au Mozambique, une insurrection mystérieuse et meurtrière », The Conversation, 22 Février 2019, https://theconversation.com/au-mozambique-une-insurrection-mysterieuse-et-meurtriere-112274

[4] Andrew Mac Donald, “Mozambique: sophistication of Islamic insurgency threatens LNG plans”, The Africa Report, 24 août 2020, https://www.theafricareport.com/38238/mozambique-sophistication-of-islamic-insurgency-threatens-lng-plans/

[5] Sunguta West, “Ansar Al-Sunna: A new militant islamist group emerges in Mozambique”, Jamestown Foundation, 14 juin 2018, https://jamestown.org/program/ansar-al-sunna-a-new-militant-islamist-group-emerges-in-mozambique/

[6] “Mozambique : No justice for victims of three-year conflict in Cabo Delgado which has killed over 2000, Amnesty International, 07 Octobre 2020, https://www.amnesty.org/en/latest/news/2020/10/mozambique-no-justice-for-victims-of-three-year-conflict-in-cabo-delgado-which-has-killed-over-2000/

[7] Allied Democratic Forces

[8] Eleanor Beevor, “Who are Mozambique’s Jihadists ?”, IISS, 25 Mars 2020, https://www.iiss.org/blogs/analysis/2020/03/csdp-mozambique-jihadists

[9] “Allied Democratic Forces open cell in Mozambique, says security expert-report”, 2 avril 2019, Club of Mozambique, https://clubofmozambique.com/news/allied-democratic-forces-adf-opens-cell-in-mozambique-says-security-expert-report/

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