Résumé

L’étalement périphérique des villes est un phénomène mondial. Ce phénomène est plus complexe en Afrique ou la poussée démographique et l’urbanisation galopante constituent des facteurs difficiles à maitriser. C’est la raison pour laquelle, l’étude s’intéresse à la question du logement, avec le foncier (qui joue un rôle crucial dans l’accès des citadins pauvres à un logement) comme conséquence immédiate de cette extension spatiale. Cette croissance spatiale de la ville renferme des réalités diverses entre les différentes villes composantes de ce triangle. Si à Dakar, la rareté foncière est devenue une réalité, ce n’est pas le cas de Thiès et Mbour, qui présentent des atouts importants, notamment en ressources foncières disponibles. Cette partie est aujourd’hui très convoitée et reste aux yeux des autorités sénégalaises comme le lieu idéal de réaliser des logements abordables. Il s’agit en première partie de faire un diagnostic du déficit du logement constaté dans l’axe Dakar – Thiès – Mbour(avec ses causes : urbanisation galopante, etc.) ; en deuxième partie, la naissance du pôle urbain de Daga kholpa (tout comme les autres pôles urbains) conçue  en partie comme une solution pour résoudre à la crise du logement(suite à l’échec des différentes politiques d’habitat constatées dans le passé avec la SICAP, SCAT-URBAM, etc.) ; en troisième partie, analyser les principaux défis du logement, voire du foncier en général et proposer quelques recommandations.

Logement social, Triangle Dakar – Thiès – Mbour

Abstract

Peripheral sprawl in cities is a global phenomenon. This phenomenon is more complex in Africa where population growth and rampant urbanization are factors that are difficult to control. For this reason, the study focuses on the issue of houssing, with land (which plays a crucial role in the access of poor city dwellers to housing) as an immediate consequence of this spatial extension. This spatial growth of the city contains different realities between the different cities that make up this triangle. If in Dakar, the scarcity of land has become a reality, this is not the case of Thies and Mbour, who present important assets, especially in available land resources. This part is now very coveted and remains in the eyes of the Senegalese authorities as the ideal place to build affordable housing. The first part involves a diagnosis of the housing deficit found in the axis Dakar – Thies – Mbour (with its causes: rampant urbanization, etc.); the second part, the birth of the urban pole of Daga kholpa (as well as the other urban poles) designed in part as a solution to the housing crisis (following the failure of the different housing policies observed in the past with the SICAP, SCAT-URBAM, etc.); third, to analyse the main challenges of housing, or land in general and propose some recommendations.

Introduction

L’étalement urbain traduit l’extension de la superficie d’une agglomération sur le territoire avoisinant. Cependant dans la littérature, des chercheurs ont montré que ce concept est plus précis que l’extension, qui désigne l’action de développer, d’accroitre les dimensions. L’étalement urbain fait référence à une diminution dans l’intensité de l’occupation du sol urbain[1]. C’est une « croissance discontinue et à faible densité des villes »[2].

Ce processus d’étalement urbain est rendu possible par les nouvelles techniques de communication, qui ont permis non seulement de gagner du temps, mais surtout d’augmenter la portée spatiale des déplacements en maintenant relativement stable le budget dans le transport de chaque individu[3]. D’autres facteurs contribuent aussi à l’accélération de ce processus, qui a abouti à un archipel urbain : le mythe de la propriété individuelle, les prix fonciers bas ou la proximité de la nature en périphérie[4].

La forme urbaine  a pendant longtemps été une source de controverse entre les différents chercheurs.

Pour les tenants de la ville étalée, l’augmentation des distances à parcourir est un faible cout comparé aux avantages de ce type de ville, qui permet une occupation plus uniforme du territoire, mais aussi un accès plus facile à la propriété foncière pour les populations. Pour ces partisans de la ville diffuse, Gordon et Richardson cités par Massot et Orfeuil[5], la ville étalée est synonyme d’efficacité économique et sociale. En faisant l’impasse sur les problèmes environnementaux que soulève l’étalement urbain.

La deuxième approche qui fait aujourd’hui de plus en plus autorité plaide pour une ville compacte avec une mixité sociale et fonctionnelle. Cependant, cette posture « fait l’impasse dans l’absolu, sur la prégnance, dans des zones denses et au moins dans l’imaginaire collectif, des inconvénients de la densité, et aussi des difficultés d’accès au logement »[6]. Pour Wiel(2010), cette approche est utopique et sa mise en œuvre renforcera les inégalités et sera source de discrimination dont souffriront les plus démunis.

Cette description des formes urbaines nous permet d’analyser et de voir les causes profondes de l’extension spatiale de Dakar. Ceci combine plusieurs facteurs dont le plus important, le poids démographique.

Le territoire sénégalais est marqué par des déséquilibres territoriaux importants entre Dakar et les autres régions. Bien que couvrant que 0,3% du territoire national, la région urbaine de Dakar demeure la principale zone de concentration de la population, des activités économiques et des grands équipements du pays.

Le poids démographique de Dakar (estimé à 3,7 millions d’habitants en 2014 n’a pas cesser d’augmenter, représentant 23,2% de la population nationale et près de la moitié de la population urbaine du pays en 2013-2014 d’après le recensement général de la population. Ainsi, en moins de cinq décennies, la population de Dakar est passée de 400 000 habitants en 1970 à 3,7 millions en 2014(+825%).

Apres un exode rural massif dans les années 1970 avec un taux d’accroissement annuel intercensitaire de la population dakaroise de 4,4%, l’augmentation démographique se stabilise aux alentours de 2,5% depuis les années 2000, selon l’Agence Nationale de l’Aménagement du Territoire(ANAT). Ce rythme reste très soutenu et laisse présager un doublement de la population en moins de 30 ans. Ainsi, selon le ministère de la Santé et de l’action sociale sénégalais, si la tendance actuelle se maintenait, Dakar abriterait 7,5 millions d’habitants en 2032. Cette croissance démographique est due à la conjugaison de plusieurs phénomènes, qui vont des migrations intérieures à l’accroissement naturel et vieillissement de la population, aux migrations internationales entre autres.

En outre, cet étalement est également favorisé en partie par la disponibilité des terres en périphérie Est de Dakar, l’existence de l’autoroute à péage, le pôle de Diamniadio et l’Aéroport International Blaise Diagne(AIBD). Ces éléments peuvent également servir d’explication à la forte croissance de la population dans cette zone. Une extension urbaine et une densification de l’habitat sont également des conséquences de ce surplus de population.

En conséquence à cette explosion démographique, la superficie urbanisée de l’agglomération de Dakar est passée de 14 940 à 18 300 hectares entre 2000 et 2010, soit une variation positive de 22,5%. La part du bâti dans la surface totale urbanisée est passée de 80,5% en 2000 et à plus de 90% aujourd’hui.

Cette extension s’est principalement traduite par un étalement urbain vers l’Est de l’agglomération, la corne du Cap vert, de plus en plus dense, apparaissant comme saturée et n’offrant que peu de terrains vierges. L’agglomération dakaroise s’est aussi vue contrainte de se déployer au-delà des limites territoriales de sa circonscription territoriale, dépassant les limites communales et départementale initiale.

Parallèlement à cette extension spatiale, Dakar connait une densification rapide de son habitat avec 6089 habitants au Km² – en 2007. Face à ces évolutions, la capacité d’intervention des collectivités territoriales est faible et Dakar reste confronté à la formation et à l’expansion de quartiers irréguliers marqués par un déficit important de services sociaux ; l’occupation de zones à risques et une mauvaise intégration au reste de la ville.

Question de recherche

En quoi les poles urbains du triangle Dakar – Thies – Mbour peuvent être une solution pour résoudre la crise du logement dans la zone ?

Méthodologie

Nous allons nous inspirer de la loi d’orientation sur l’habitat social, adoptée le 08 novembre 2016. Cet article est à la fois théorique et empirique, car nous allons nous baser sur les contours de cette présente loi, mais également nous appuyer sur notre expérience sur le terrain en tant qu’acteur du projet UEMOA sur les logements abordables à Daga kholpa(Sénégal). Le pôle urbain de Daga kholpa, bien situé dans le triangle DTM, est notre zone d’étude. Notre approche consiste donc à faire le lien entre les textes juridiques et les pratiques existantes pour comprendre les obstacles de la production de logements sociaux sur l’ensemble de la zone, avant de finir par suggérer quelques recommandations.

Contexte

Nous observons depuis 2014, un fort volontarisme étatique de faire du logement social une priorité des politiques publiques dans le Plan Sénégal Emergent[7]. Cette volonté s’est concrètement matérialisée par la mise en place d’un cadre institutionnel incitatif devant permettre l’intensification des réalisations de l’habitat social[8].

Une analyse des potentialités du triangle Dakar – Thies – Mbour

Source : Plan d’Urbanisme de détails de Daga kholpa – situation géographique de Daga Kholpa, 2016

Le pôle urbain de Daga kholpa se situe géographiquement à cheval sur les régions de Thies et de Dakar. A ce titre, il convient de prendre en compte non seulement la relation du site avec la capitale sénégalaise, mais également l’influence conjointe des métropoles de Thies (au Nord) et de Mbour (au Sud). Au Nord, « Thies métropole » et sa région comptent plus de 600 000 habitants et possèdent des atouts géographiques (carrefour entre Dakar et moitié Nord du Sénégal) ainsi que d’importantes réserves foncières et une infrastructure de transport bien développé (réseau routier, réseau ferré, autoroute AIBD[9]-Thies, etc.).

Cependant son tissu économique, administratif et industriel peine à répondre à la demande d’emplois et à générer une attractivité du territoire pérenne. Le développement du pôle de Daga kholpa et une nouvelle offre économique aux alentours de l’aéroport peut pallier partiellement le deficit d’emplois de Thiès.

Au Sud, « Mbour métropole » et sa région comptent plus de 630 000 habitants et affichent un dynamisme démographique plus important que Thies. Son tissu économique en pleine expansion, avec une importance du tourisme (notamment via la station balnéaire de Saly Portudal) et de la pêche, en fait l’un des territoires ayant une attractivité territoriale forte. L’inauguration de l’autoroute AIBD-Mbour en 2019 a par ailleurs doté ce territoire d’une connexion aux autres poles urbains. Les activités économiques phares de Mbour n’entrent pas en concurrence avec l’orientation du pôle de Daga kholpa, son attractivité pouvant par ailleurs favoriser une dynamique régionale de « rééquilibrage » économique et démographique afin de désengorger la métropole dakaroise. Cependant une coordination entre les activités de Mbour et de Daga kholpa s’avère essentielle afin de ne pas entrer en concurrence sur certains secteurs (antennes universitaires, logements moyen-standing, etc.).

Cette zone forme ainsi un triangle Dakar – Thies – Mbour, marqué par ses fortes potentialités et ressources (notamment les réserves foncières), constituant une zone d’extension naturelle de Dakar. On constate ainsi l’émergence de centres urbains secondaires suivant deux axes préférentiels : la petite côte et le long du réseau routier principal. Ces nouveaux poles urbains forment une mosaïque de territoires extrément dynamiques et variés qu’il s’agit de structurer et de coordonner de façon plus soutenue afin d’encourager un développement économique et social bénéfique pour l’ensemble de la région. La planification du pôle de Daga kholpa devra par ailleurs prendre en compte des projets d’envergure dans la zone, tel que le port multifonctionnel de Ndayane qui à terme serait l’un des plus grands de l’Afrique de l’Ouest et qui offrirait une forte opportunité de connexion à la zone économique spéciale intégrée, tout en bénéficiant de la proximité de l’Aéroport International Blaise Diagne de Dakar(AIBD).

Enfin, malgré l’importance croissante de ce « triangle », la zone ne représente qu’un poids très relatif vis-à-vis de la capitale dakaroise qui concentre l’essentiel des institutions nationales, de la population, des équipements et infrastructures économiques (près de 90% des entreprises industrielles du pays) et, par conséquent des opportunités d’emplois. La promotion de poles d’expansion urbaine et économique tel que Daga kholpa doit permettre d’atténuer la pression urbaine qui s’exerce sur Dakar et offrir une nouvelle offre de logements, d’équipements et d’emplois aux sénégalais, à la fois dakarois ainsi qu’aider au mitage du territoire, à travers un tissu urbain dense et concentrant des activités diverses, génératrices de revenus, favorisant une économie solidaire et le renforcement de secteurs tels que le secteur sanitaire et social.

La politique de l’habitat occupe une place importante dans cette volonté de vouloir décongestionner Dakar, qui passe par la création de villes nouvelles. Ainsi, il serait judicieux d’observer la dynamique du marché immobilier et la caractéristique de l’habitat dakarois.

Analyse du marché immobilier et caractéristique de l’habitat dakarois

La problématique de l’habitat se pose avec acuité au Sénégal. Une estimation faite en 2015, par le Ministère de l’économie et des Finances met en lumière l’écart entre l’offre en logement(5000) et les demandes (300 000). Ce déficit de logements, aujourd’hui estimé à 300.000 dans tout le pays, est particulièrement visible à Dakar qui concentre la moitié du déficit identifié.

Outre l’enjeu de production de logement neuf, se pose l’enjeu de l’adéquation entre les revenus de la population et les prix des logements produits. L’accès à un logement décent et à un prix abordable est en effet l’une des préoccupations majeures des sénégalais. Face à des réserves foncières faibles, en particulier à Dakar, s’ajoute des difficultés d’accès au crédit pour les individus à faibles revenus et irréguliers. La rareté du foncier encourage la spéculation immobilière, avec un risque d’amplification du phénomène aux alentours des nouveaux pôles urbains de Diamniadio et du Lac rose.

Par ailleurs, si la propriété limite en partie la pauvreté, elle n’est pas pour autant signe de richesse, avec une très grande hétérogénéité des situations.

La location est très développée dans la région de Dakar (46% des chefs de ménage, soit le double de la moyenne nationale) et souffre également de cette inadéquation avec des couts de location relativement élevés. Malgré cette importance du marché locatif, selon une enquête CAHF de décembre 2019, les chefs de ménages ayant le statut de propriétaires occupants resteraient majoritaires (35%) à Dakar.

Les conséquences de cette offre immobilière déficitaire et inadaptée aux revenus d’une partie de la population sont nombreuses. On note notamment le problème de surpeuplement des logements qui concerne 29,3% des ménages du Sénégal ou encore l’apparition de zones d’habitat informel. Selon un rapport de la banque mondiale publié en 2015[10], l’habitat irrégulier à Dakar représente 21,76% de la surface urbanisée de la région tandis que le chiffre de 35 à 40% est avancé aujourd’hui.

Les types de Logement

On distingue principalement deux catégories de logement selon le mode d’obtention : les logements sociaux et les logements privés.

Le logement social est défini comme une habitation dont l’accessibilité est rendue possible grâce à l’appui des services publics. Sa définition, ses caractéristiques techniques, son équipement et son cout sont réaffirmées par la loi n°-2016 – 31 du 08 novembre 2016 portant loi d’orientation sur l’habitat social. Le ciblage de l’offre de logement social repose principalement sur un prix de vente maximum de ces logements et se concentre sur les ménages primo-accédant à la propriété. Par ailleurs, l’accession à un logement social est réservée aux ménages dont le revenu est inférieur à 450.000 FCFA/mois. Si la législation définit l’habitat

Social comme un logement étant vendu à un prix inférieur à 20 millions de FCFA, l’objectif affiché de l’Etat est de proposer des logements à 10 millions de FCFA.

Les logements privés sont pour leur part acquis par auto construction ou par achat auprès des fournisseurs autres que l’Etat (particuliers, promoteurs privés, coopérative d’habitat).

Ces deux catégories de logement n’ont jusque-là pas connus un essor fulgurant en termes de production. Plus encore le logement social, qui n’a que récemment mis au-devant des priorités par les autorités étatiques avec le Plan Sénégal Emergent dans son programme d’offre à l’habitat social. Cette offre de logement relativement en quantité insuffisante trouve ses réponses aux obstacles de niveaux diffèrent dont elle fait face.

Quels sont les obstacles à la production massive de logement social ?

Avant de répondre à cette question, il est important d’abord de faire une analyse lacunaire de la politique de l’habitat et du logement au Sénégal.

Des performances contrastées en matière de politique de l’habitat et du logement

Le Sénégal a une longue histoire de programme d’habitat géré et impulsé par les pouvoirs publics. Cependant, il est admis que les populations assurent une bonne partie de l’accès à la propriété. Plus de 80% de la production de logement urbain est assurée en auto construction ou en autopromotion. C’est-à-dire par les habitants eux-mêmes. Les habitants construisent eux-mêmes leur résidence principale mais également assurent l’accueil des autres ménages en mettant sur le marché l’essentiel de l’offre locative, du social au haut standing.

A cela s’ajoute les impacts de la spéculation foncière activée par les migrants, surtout en périphérie de Dakar. Depuis les années 70, les émigrés acquièrent en deuxième main des terrains et y réalisent, dans les délais relativement courts, des constructions en dur, contribuant ainsi à l’extension et surtout à la montée des prix des terrains situés dans ces zones. Les émigrés achètent également des maisons qu’ils transforment pour les louer notamment à des fonctionnaires exclus des programmes publics de logement.

Il serait également important de signaler qu’en 50 ans, les performances des deux sociétés publiques de promotion immobilière, la SICAP et la SN-HLM ont été faibles. Leur production actuelle représente moins de 1% des besoins annuels de la région de Dakar. La SICAP a produit en moyenne 250 logements[11] par an, dont la plupart à Dakar. La SNHLM a réalisé 335 logements en 40 ans et 570 parcelles viabilisées en moyenne par ans.

Les promoteurs privés également présentent un bilan peu radieux avec une production d’environ 1 000 logements par an depuis quelques années à Dakar. Ces logements ne sont accessibles que par une frange minime de la population.

Les coopératives d’habitat bénéficient aussi du soutien de l’Etat : environ 750 coopératives d’habitat ont été agrées et bénéficient d’allégements fiscaux et de taux bonifiés (Banque de l’Habitat du Sénégal). Elles permettent de faciliter l’accès au logement à des petits salariés de la fonction publique mais également de sénégalais de l’extérieur souhaitant investir dans le logement.

Il serait également important de rappeler dans cette logique que la sévérité des inondations de ces dernières années aura indirectement pour incidence d’accélérer les mesures prises par le gouvernement en faveur de l’habitat, sans toutefois en modifier les tendances de long terme : cette conscience a conduit la mise en place du plan Jaxaay avec une production de 1 800 logements de 15 millions FCFA subventionnés par l’Etat à hauteur de 75%, destinés aux ménages victimes des inondations de 20061. Le programme « une famille, un toit » : opération de 5 000 logements sur le site de Diamniadio réservés à des fonctionnaires bénéficiant d’un prêt de 5 millions FCFA de la DMC (Direction de la Monnaie et du Crédit). Ces logements sont construits par des promoteurs qui reçoivent gratuitement le terrain de l’Etat et des exonérations de taxes.

Egalement important de noter que les terrains aménagés par l’Etat ne se concentrent que sur un segment de la demande : les salariés notamment du secteur public. La formule ZAC (Zone Aménagement Concertée) est pratiquée au Sénégal depuis 1988 avec les projets du ZAC de Mbao[12]. Cette procédure consiste à mettre le foncier à disposition gratuite et faire financer gratuitement les concessionnaires d’eau et d’électricité les réseaux primaires et secondaires. Les bénéficiaires ont à leur charge le financement des réseaux tertiaires. Cette pratique a quand même générer une réussite, aujourd’hui, un outil très prisée par les coopératives d’habitat, bénéficiaires des assiettes foncières dans ces zones le plus souvent.

La politique de logement social et les contraintes d’une production massive

L’habitat est une question très sensible au Sénégal, en raison notamment du déficit de l’offre en terrains aménagés pour les demandeurs de logements. Il s’en est suivi un développement spontané et anarchique de certains espaces, dans les grandes villes, à Dakar en particulier mais aussi dans sa proche banlieue (Pikine à Bargny), ou l’on note un nombre important de quartiers irréguliers. L’Etat tente de juguler la crise du logement et de résorber les quartiers irréguliers et insalubres, en menant une politique ambitieuse de promotions immobilière et foncière, en favorisant la restructuration urbaine et en mettant en place un système de financement, permettant aux ménages les plus modestes notamment, d’accéder au toit par l’épargne.

Le Sénégal, à l’image des autres pays en développement, africains en particulier, a connu une très forte et rapide croissance démographique et urbaine. Selon l’Agence Nationale de la Statistique et de la Démographie(ANSD), le taux d’urbanisation est passé de 23% en 1960 à 38,40% en 1988, puis à 40,7% en 2002 et à 45,2% en 2013 contre 54,8% de ruraux. Ce taux cache des disparités importantes entre les différentes régions du Sénégal. La région de Dakar concentre près de la moitié (49,6%) de la population urbaine du pays suivie de celle de Thiès (14,3%). Avec un croit annuel moyen de +2,5%, la population du Sénégal devrait doubler d’ici 2050 pour atteindre 25 millions d’habitants. 65% de ces habitants (soit plus de 16 millions d’habitants) vivront dans des zones urbaines (contre 5 millions aujourd’hui). L’essentiel de la population urbaine se concentrera à l’ouest d’une ligne Richard Toll-Touba ou sont concentrés les pôles d’activités économiques et religieuses.

Cette croissance urbaine forte conjuguée à la rareté des moyens financiers ne facilite pas la production de logements qui ne couvre pas la demande et à tendance à favoriser le développement des quartiers spontanés et des occupations irrégulières. La demande en logements se pose surtout en milieu urbain. La propriété et la location sont les modes d’occupation les plus fréquents au Sénégal (88,1%). 67,9% des ménages sont propriétaires de leur logement contre 4,7% de copropriétaires, 20,1% de locataires, 2,9% de colocataires3.

Cependant, l’urbanisation continue de ces dernières décennies à drainer une masse considérable de populations dans les centres urbains, à tel point que l’offre publique en logements ne peut suffire. Quant au secteur privé, il s’adresse exclusivement aux classes moyennes et aisées solvables. Ce qui fait qu’une bonne partie des habitants des villes sénégalaise vit dans des quartiers auto-construits de plus en plus éloignés des centres, et/ou dans des quartiers non conformes aux réglementations en vigueur. De plus, l’ANSD révèle que près de trois ménages sur dix (29,3%) vivent dans la promiscuité avec 3 personnes voire plus par pièce (30,9% en milieu rural contre 27,8% en milieu urbain).

La combinaison de différents facteurs (financement inadapté, parcelles viabilisées insuffisantes, cout élevé des matériaux de construction, cadre législatif complexe, défaut de maitrise du foncier, prégnance de l’informel, etc.) rend difficile la production massive de logements à des prix abordables. Sous l’effet de la rareté des terrains et du caractère spéculatif des loyers, le logement est devenu, à Dakar et dans les villes de l’intérieur la deuxième dépense des ménages après l’alimentation.

Pour lever les différents obstacles à l’accès au logement, l’Etat Sénégalais a opté pour la promotion de l’habitat social, un des piliers du Plan Sénégal Emergent et vise la production de 15 000 unités d’habitations par an pour résorber le déficit en logements et parer à la demande nouvelle. Cette politique repose sur l’appui du secteur privé dans un secteur libéralisé depuis 1994. A cet effet, l’Etat s’est engagé sur 3 fronts visant à promouvoir la production de logements en masse et à couts réduits : (i) mettre à disposition des promoteurs immobiliers des terrains gratuits(sauf une contrepartie minime à l’aménagement) pour construire des logements en contrepartie d’un quota de 60% de logements sociaux, (ii) appliquer un régime fiscal et douanier avantageux et (iii) construire et maintenir un portefeuille clients.

Il est dès lors important d’aller vers l’applicabilité des reformes notamment sur le plan juridique avec une vraie mise en œuvre de la loi d’orientation sur l’habitat social. Cette concrétisation des mesures prises est beaucoup plus attendue sur les pôles urbains.

Les pôles urbains représentent une opportunité pour améliorer l’habitat

Ils forment sûrement l’impulsion qui suppléera le manque d’initiative spontané. Encore faut-il que les priorités qu’ils comprennent correspondent à des besoins réalistes et ajustés aux populations cibles tant en taille qu’en capacités financières.

C’est une réalité, que l’absence de foncier conduit à la surenchère du logement social. Le foncier et l’aménagement prennent une importante partie sur le coût du logement.  Avec une importante disponibilité foncière, les pôles urbains sont les plus sollicités, aujourd’hui par l’Etat, pour porter le programme important de logements (Projet 100 000 logements par exemple). Sur ces nouveaux espaces de vie, il est possible de créer des ZAC (zone d’Aménagement Concerté), plus habiletés à créer un logement social.

Les deux promoteurs publics que comptent le pays, la SICAP S.A et la SNHLM, ne sont plus en mesures aujourd’hui de produire des logements en quantité en raison du manque de foncier. Elles bénéficiaient de l’affectation gratuite de foncier de la part de l’Etat du Sénégal, mais depuis des années cette pratique est relativement rare, ce que déclarent les personnes ressources interrogées de ces deux institutions.

Quels sont les opportunités pour les promoteurs publics sur les pôles urbains ?

Les promoteurs publics sont des entreprises publiques qui ont été créées pour mettre en œuvre la politique d’habitat en matière de production de logements et de terrains viabilisés. Il s’agit des entreprises SICAP (crée en 1950 avec pour mission la réalisation de lotissements et la construction de logements locatifs pour une amélioration des conditions d’habitation) et SNHLM (Société Nationale des Habitations à Loyers Modérés, elle-même crée en 1959). Cette société s’est vue confiée la charge de construire des logements urbains à portée des salariés à revenus moyens. Elle a aussi facilité l’accès de ces derniers à des parcelles viabilisées, favorisant l’auto-construction).

Un troisième promoteur public existait jusqu’en 2003. La Société Centrale d’Aménagement des Terrains Urbains (SCAT-urbam), crée en 1988, avait pour mission d’aménager les terrains urbains mis à disposition par l’Etat en vue de leur vente aux particuliers, aux promoteurs publics ou privés et aux coopératives. Cette société a disparue en 2003 suite à des problèmes de disponibilité de réserves foncières.

La SICAP et la SN-HLM sont la clé de voute de la construction au Sénégal. Cependant à travers les années, ces deux sociétés ne sont plus en mesure d’assurer convenablement leur intervention, sinon elle s’est considérablement diminuée. Compte tenu de leur situation actuelle, qui n’est pas plus reluisant, ces deux outils publics peuvent être réactivés.

Ces sociétés  ont fortement contribué au développement du logement sur Dakar et disposent d’une forte confiance des populations (à titre d’exemple – à ce jour – la SN-HLM gère plus de 300 coopératives et a un portefeuille de 5 000 ménages inscrits, participant financièrement dans l’attente d’une offre de logement – soit une clientèle engagée de l’ordre de 8 000 à 10 000 logements).

Il semble que l’appui de l’Etat auprès de ces structures ait considérablement diminué, et que de nouvelles structures dont l’objet initial était d’utiliser leurs réserves pour financer le logement se soient vues confier des missions de logement (Société immobilière (IPRES, CSS, ou encore la création de la filiale de la Caisse des Dépôts et Consignations(CDC) : Compagnie Générale Immobilière du Sahel – CGIS SA). Leurs activités semblent aujourd’hui en berne. De surcroit, la SN-HLM a cédé une partie de son patrimoine. Ces facteurs cumulés conduisent à précariser cette société.

Il est important de préciser que cet appel à reconsidérer la situation de ces deux structures, ne veut pas dire, écarter les autres organismes – développeurs – immobiliers du circuit de la production de logement. Mais inciter les pouvoirs publics à aider, restructurer même en profondeur, ces deux organisations publiques. Cela passe par rétablir leur équilibre financier, disposer d’assiettes foncières à mettre en valeur, un appui financier conséquent pour la production de logements, par la signature de contrat de performance avec l’Etat du Sénégal, entre autres. Car au vu du Programme important de l’offre à l’habitat social, un secteur prioritaire bien en place dans le PSE 1 et le PSE 2(PAP 2A Ajusté et Accéléré pour la relance de l’économie post-COVID-19), il ne serait pas très pertinent de réduire uniquement cette production importante de logements à la SICAP et à la SN-HLM. Toutefois, une réactivation de leur statut s’impose.

Quelques mécanismes d’accompagnement mises en place par l’Etat du Sénégal pour faciliter l’accession à la propriété au plus grand nombre.

Il est important de souligner, qu’aujourd’hui des leviers sont activés pour protéger les populations de la spéculation foncière. C’est entre autres des objectifs que s’est fixés le Fonds de l’Habitat Social. « Ce qui se passait avant, c’est que ce sont les promoteurs eux-mêmes qui achetaient le foncier et qui le répercutaient sur le prix total du logement et c’est ça qui enchérissait le coût »[13], selon Ousmane Wade, directeur général dudit Fonds. M. Wade, poursuit, « dans le cadre du projet des 100 000 logements, le changement dans la pratique s’imposait ».

Il faudrait également saluer la création de la Société d’Aménagement du Foncier et de Rénovation Urbaine[14] (SAFRU SA). Cette société a pour objet d’assurer les aménagements de sites devant abriter des programmes immobiliers de l’Etat et contribuer aux opérations de rénovation et de restructuration urbaine. Pour l’heure, elle a en charge la bonne mise en œuvre de l’aménagement du site de Daga kholpa. Ce sont deux structures respectivement d’appui technique et financier qui viennent véritablement appuyer l’acquéreur et le promoteur en même temps. Ce qui participe à amoindrir le coût du logement et rendre accessible le logement pour le citoyen lamda qui veut un logement. « Aujourd’hui, l’Etat subventionne directement le logement social en supportant presque plus de 40% du cout du logement », affirme O. Wade.

Rencontre avec les personnes ressources du Ministère de l’urbanisme, du logement et de l’hygiène publique – DGUA, dans le cadre du projet UEMOA sur les logements abordables. Le 12 octobre 2019. Crédit photo : Mansour Mané

CONCLUSION

En définitive, la rareté foncière à Dakar constitue l’une des causes de son étalement urbain. Ce phénomène à son tour, à impulser et favoriser, ce qu’on appelle le Triangle Dakar-Thiès-Mbour. Cette partie a vu naitre la création de nouveaux espaces de vie, les pôles urbains. Ces derniers envisagés comme de véritables pôles de croissance, ont vocation à décongestionner Dakar et à favoriser l’émergence de nouveaux hubs résidentiels, économiques et administratifs à travers la mobilisation et le développement intégré de 13 000 hectares de terrain. Ces villes nouvelles sont donc choisies pour absorber et accueillir cette importante demande de logements. Le triangle Dakar – Thiès – Mbour offre cette possibilité de traduire concrètement la volonté de l’Etat du Sénégal de développer le secteur de l’habitat pour résorber progressivement le déficit en logements sociaux. Cet espace grâce à ces potentialités foncières pourrait absorber l’essentiel de la demande en logements (60% de la construction des 100 000 logements). Pour atteindre cet objectif, il serait important de lever les obstacles. Les entretiens et étude de marché effectués, avec les acteurs de niveaux diffèrent, ont permis de faire ressortir un triptyque des problèmes de l’accession à la propriété : le foncier – l’aménagement – le financement. L’importance Stratégique de l’habitat est confirmée par sa prise en compte dans les documents de politique nationale comme secteur de développement susceptible de contribuer fortement à la croissance économique. Cette réflexion vient accompagner cette prise de conscience afin d’aider et d’impulser la politique de production massive de logements.


[1] Pouyanne, Guillaume(2014) Formes urbaines et mobilité quotidienne. Université Montesquieu Bordeaux iv, thèse de doctorat ès sciences économiques, p.22

[2] Allemand, François Asher, J.levy. Les sens du mouvement. Modernité et mobilités dans les sociétés urbaines contemporaines. Berlin, pp. 331

[3] Kaufmann, Vincent, SAGER, FRITZ, Ferrari, Yves et Joye, Dominique(2003) Coordonner transports et urbanisme. Lausanne, Presses Polytechniques et universitaires Romandes, 217p

[4] Ndiaye, Ibrahima(2015) Etalement urbain et différenciation sociospatiale à Dakar(Sénégal) – cahier de géographie du Québec, 59 (166) p. 4

[5] Massot, Marie-Hélène et Orfeuil, Jean-Pierre(2004) Les mobilités urbaines dans 20 ans, Dans Sylvain Allemand, François Asher et Jacques Levy (dir.) Le sens du mouvement. Institut Ville en mouvement, Paris, Berlin, p.119 – 128

[6] Massot, Marie-Hélène, et Orfeuil, Jean-Pierre, 2004, p.225

[7] Plan Sénégal Emergent : Référentiel de la politique économique et sociale sur le moyen et le long terme. Adoptée en novembre 2012 par le gouvernement du Sénégal et l’ensemble de ses partenaires au développement, cette stratégie repose sur la vision d’un Plan stratégique Sénégal Emergent(PSE) visant l’émergence économique à l’horizon 2035.

[8] Loi n°-2016-31 du 08 novembre 2016 portant loi d’orientation sur l’habitat social

[9] Aéroport International Blaise Diagne de Dakar – AIBD

[10] Banque mondiale, 2015 « Revue de l’urbanisation, Villes Emergentes pour un Sénégal Emergent, 2015.

[11] Sur la période 1950 date de sa création au début des années 2000

[12] Zac de Mbao en 2000, développé en première phase sur 230 ha puis sur 150 ha – phase 2

[13] Ousmane wade, Directeur général du Fonds de l’habitat Social, interviewé par Yanda Sow. Voir reussirbusiness.com/actualités/habitat-social-un-fonds-pour-lacces-au-logement (consulté le 12 décembre 2020)

[14] Maissa Mahécor Diouf, Directeur général SAFRU S.A, interviewé par la rédaction. Voir reussirbusiness.com/a-la-decouverte/maissa-mahécor-diouf-dg-safru-s-a-adieu-aux-bidonvilles/

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