« Novorossia » dont la dénomination exacte est : « Union des Républiques populaires de Novorossia » ou mieux en français « Union des Républiques populaires de nouvelle Russie », est un projet de république confédérale qui va réunir certains oblasts qui vont se rallier derrière la Russie.

Vladimir Poutine déclare, en filigrane, « celui qui veut restaurer l’Union soviétique n’a pas de tête. Celui qui ne le regrette pas n’a pas de cœur. »[1] Cette déclaration en dit long sur les ambitions géopolitiques des élites au pouvoir en Russie comme en atteste la crise ukrainienne, véritable symbole de la nouvelle Russie « Novorossia ». En réalité, Poutine considère l’effondrement de l’URSS [2] comme la plus grande catastrophe du 20e siècle. Ancien membre du KGB placé en RDA [3], l’actuel président de la Russie est ainsi un grand admirateur du président Staline. À cet effet, méthodique et très patient il a su se frayer un chemin dans le monde de la politique avec comme point de départ à Petersburg où il fut adjoint du maire Anatoli Sobtchak en 1990. Il va atterrir à Moscou lieu ou se trouve véritablement le pouvoir, également lieu ou il va séduire les oligarques russes ce qui lui vaudra la sympathie de l’ancien président Boris Eltsine et aussi la présidence en 2000. Arrivé au pouvoir, Vladimir Poutine axe principalement sa politique sur le réveil de la Russie. Il désire redorer le blason du pays aussi bien sur le plan interne qu’externe. En effet durant la période où il gravait les échelons, au regard des multiples crises dont le pays a fait face ; il en tire plusieurs conclusions. Tout d’abord le constat que le pays est entrain de tomber dans le gouffre avec l’accaparement des richesses par les oligarques, qui dans la même mesure s’emparent du pouvoir politique au détriment du bas peuple. Ensuite le constat de l’importance qu’occupent les ressources énergétiques dans la géopolitique d’où l’importance qu’il va accorder au Gaz russe. Enfin que l’opinion doit être contrôlée par le biais des médias et qu’aussi la ruse peut être plus efficace que l’usage de la force.  Dans ce sillage Poutine va mettre en place une politique dont l’objectif principal est de faire renaitre la grande Russie du temps de l’URSS, à savoir une Russie qui aura les mêmes capacités et influences que son rival les USA. Cette politique porte le nom de la Novorossia. Ce nom au sens restreint du terme peut déterminer la fédération notamment, après la crise ukrainienne de 2014, de la République populaire de Donetsk et celle de Louhansk à la Russie, cependant le concept est plus grand et profond que cela. Tout porte à croire que la Novorossia est une politique qui a longtemps muri chez Poutine.

Dès lors la question fondamentale qu’on se pose est de savoir quels sont les enjeux de cette nouvelle doctrine ?

  1. Enjeux Géoéconomiques de la Novorossia

La doctrine de Poutine s’est inspirée des idées d’Alexandre Douguine, l’un des grands théoriciens de l’Eurasie. C’est lui qui a lancé, avec le soutien de nombreux intellectuels, en 2001 le mouvement Eurasia afin de développer une théorie « néo-eurasiste ». Celle-ci se décline comme une réflexion identitaire sur les peuples slaves et sur les limites de l’empire russe. Enfin, l’opposition caractéristique qu’Alexandre Douguine établit entre la thalassocratie américaine et la tellurocratie eurasiatique selon la théorie de Mackinder n’est finalement que la conceptualisation du multilatéralisme russe actuel. Depuis la fin de l’URSS, la Fédération de Russie promeut la multipolarité diplomatique et le primat institutionnel. En s’érigeant promotrice du multilatéralisme et du droit international, la Russie cherche tout simplement à contrer l’attitude américaine.

Ainsi cette nouvelle doctrine de Poutine pourrait être vue comme une menace de la part de ses anciens adversaires, dont les USA. À cet effet ayant toujours craint la reformation d’une URSS, les Occidentaux ont rallié les anciens États socialistes au sein de l’organisation atlantiste « OTAN » [4] et aussi au sein de l’Union européenne. Ce fut ainsi le cas des pays limitrophes de la Russie dont la Lettonie, la Lituanie et l’Estonie qui par peur d’être de nouveau envahi par la Russie ont demandé à adhérer à l’OTAN.

Par ailleurs, cela n’a pas pour autant freiné l’ambition de Poutine, qui au contraire se sert de ces éléments pour légitimer auprès de sa population l’intervention de la Russie sur la scène internationale comme en Crimée en 2014. Une invasion vivement condamnée par les Occidentaux notamment les États-Unis qui vont mettre en place une batterie de sanction afin de porter atteinte à l’économie russe.

La doctrine de la Novorossia de Poutine se base fondamentalement sur deux axes. Il met tout en ouvre pour contrôler le gaz du pays en rendant la société Gazprom un bien étatique. Il se sert ainsi de cette arme afin de contraindre certains États dépendants comme l’Ukraine en 2014. La Russie cherche ainsi par tous les moyens à dominer le marché européen et asiatique en matière de l’énergie. Une idée plutôt ingénieuse dans la mesure ou aujourd’hui Poutine fournit de grandes puissances en Europe le gaz dont l’Allemagne et l’Italie qui parfois peuvent jouer un contre poids si jamais l’Europe voulait mettre en place des sanctions contre la Russie. Les importations du gaz russe représentent 27 % de la consommation de gaz de l’UE et près de 50 % de ce gaz transitent par l’Ukraine. Dans cette même ambition de contrôler le marché énergétique, Gazprom commence à étendre ses tentacules en Asie. Récemment la Russie a eu un contrat de distribution de gaz en Chine. De même sa présence en Syrie n’est pas que militaire, en janvier dernier, Bachar Al Assad a octroyé à la Russie l’exclusivité du marché énergétique de la Syrie. Ainsi Poutine devance les Occidentaux sur leur ambition de contrôler le pétrole de ce pays. Cette politique de Poutine entre dans le cadre de la Novorossia.

Sur le plan militaire de fait, l’effondrement de l’Union soviétique avait fait chuter le budget militaire de 246 milliards de dollars à 14 milliards entre 1988 et 1994. Les effectifs étaient passés de quelque 5 millions à moins de 1 million [5]. Dans la dynamique de la grande Russie, Poutine va mettre à la tête du ministère de la Défense deux hommes dynamiques à l’image de Anatoli Serdioukov et Sergueï Choïgou. Ces deux hommes vont littéralement transformer l’armée russe en mettant en place des stratégies pour garantir le professionnalisme de l’armée. Par ailleurs, Poutine a épaulé ces efforts en portant le budget en 2015 à 90 milliards de dollars (environ, car les finances russes demeurent opaques) et en adoptant un plan de réarmement 2016-2025 de quelque 700 milliards de dollars (488 milliards d’euros). Il prévoit notamment la construction d’un porte-avion et de vingt sous-marins nucléaires. L’armement de l’Arctique riche en hydrocarbures avec 16 ports, 13 bases aériennes et 10 stations radars est en bonne voie. Trois nouvelles divisions sont en cours de formation aux portes de l’UE. A tire d’exemple l’intervention de la Russie en Syrie, les Occidentaux ont été surpris face à la force de frappe russe notamment de l’aviation russe.

Ainsi Poutine axe sa doctrine principalement sur ces deux piliers à savoir la maitrise de l’énergie et le renforcement de la puissance militaire pour la grande Russie

  1. Novorossia : un repositionnement stratégique de la Russie

La Novorossia marque à la fois la restauration de l’impérium russe et l’émergence d’une idéologie patriotique qui tend vers un civilisationnisme. La nouvelle Russie, en gestation, s’appuie sur deux piliers. D’abord, l’orthodoxie permet la régénération morale de la société autour de référent rassembleur religieux et civilisationnel. Enfin, le patriotisme favorise la confiance en un État fort, indépendant qui défend ses intérêts y compris contre la première puissance mondiale (les États-Unis). Dès lors, la doctrine Poutinienne déborde largement du territoire national en passant d’un patriotisme conservateur vers un ethnonationalisme visant à englober dans un même État toutes les populations russophones de la planète : c’est le concept de monde russe « Novorossia ». Ce concept élargit la sécurité nationale russe aux territoires de la « Novorossia ». Ainsi c’est dans ce sillage que se comprend en 2008 la présence russe en Géorgie de même que l’annexion de la Crimée, le ralliement du Donetsk et du Louhansk en 2014 à la mère Russie.

En effet avant même la Géorgie, Poutine, considérant les accords avec la Tchétchénie sous l’ère de Eltsine était une grande humiliation pour la Russie ; ainsi il va déployer l’armée afin de montrer la puissance de la Russie. Un conflit qui fera plus de 200 000 morts sur 1 000 000 de la population. En 2008 la Russie va intervenir pour protéger l’Ossétie du Sud et l’Abkhazie, ces deux provinces russophones et russophiles sécessionnistes que voulait reprendre Tbilissi suite aux attaques de la Géorgie.

La Transnistrie, région quasi autonome et pro-russe de Moldavie, souhaite aussi son rattachement à la Russie. En 2006, un référendum (non reconnu) est organisé dans cette province sécessionniste et 97% de ses habitants se prononçaient pour le rattachement à la Russie.

En 2014, la crise de « l’Euromaïdan » déclenche l’intervention de la Russie en Crimée avec les forces spéciales russes qui vont contrôler la région. Suite à ces évènements, des mouvements pro-russes vont se soulever à Donetsk puis à Louhansk des anciens oblats de l’Ukraine, soutenus militairement par Poutine, ils vont organiser des référendums et proclamer leur indépendance et rattachement à la mère Russie. Officiellement seule la République populaire de Donetsk et Louhansk font partie de la Novorossia. Ils insistent énormément sur le mot « populaire », car utilisé historiquement par des États ayant été sous influence soviétique après la Seconde Guerre mondiale, États se définissant à l’image du socialisme. Le populaire renvoi ainsi à la place importante du peuple dans la gestion des affaires publiques importante telle que l’énergie.

Face à cette situation, allons nous assister au regain des démons de la guerre froide ?


[1] Le Monde, « Russie : de Staline à Poutine »,2013, http://www.lemonde.fr/idees/article/2013/06/20/russie-de-staline-a-poutine_3433456_3232.html (Consulté le 24.03.2018)

[2] Union des républiques socialistes soviétiques

[3] République démocratique Allemande

[4] Organisation du traité de l’atlantique nord

[5] chiffres cités par Austin Greg et Alexey Muraviev dans The Armed Forces of Russia in Asia

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